dimanche 16 septembre 2007

L'amour nécessaire

Sa tristesse est tellement énorme qu'elle ne tient pas dans les murs de son appartement. Elle gonfle et elle enfle jusqu'à s'imiscer dans toutes les craques du plancher, dans les tiroirs, sous les fauteuils et entre ses draps, elle se matérialise en fumée opaque et rampante comme les langues de brumes dans les forêts de films d'horreur, elle colle à sa peau, à ses vêtements et à son coeur pour rompre les barrières qu'il a élevées à l'intérieur de lui. Sa tristesse est tellement immense que parfois, le souffle lui manque, son cou ploie, ses mains tremblent, les mots pris dans sa gorge brûlante et serrée comme un étau qui broie sa vision. Sa tristesse est rude et pugnace, elle frappe de plein fouet mon coeur, elle glisse en moi pour venir toucher le point juste là au centre de tout ce que nous sommes. Je la vois comme une bête à dompter, je la ressens comme si elle était mienne en moins pire, c'est sûr, mais mienne quand même. Je voudrais la prendre et la jeter par la fenêtre, aller loin et la pitcher en bas d'une falaise, la prendre et la sortir à tout jamais de lui. Mais je ne peux pas. JE NE PEUX PAS! Je peux seulement ouvrir les bras et tenir sa tête là sur ma poitrine, laisser ma main sur son front, écouter ses larmes et retenir les miennes pour lui insuffler l'amour nécessaire. Il n'y a que ça qu'on peut faire, non?

lundi 10 septembre 2007

Missive

Je viens de recevoir une lettre d'outremer. Que j'ai pris le temps de lire assise tranquille avec mon apéro et une clope, en relisant des passages et en tenant le papier à deux mains. Une qui sent le goémon, les plages de galets cinglées par le ressac bruyant, les bières fraîches bues aux terrasses dans le soleil de fin de journée, avec en arrière-scène les falaises brisées et intenses de la Normandie. Une vraie longue lettre d'un vrai grand ami. Avec son écriture élancée comme ses doigts de luthier, ses mots choisis invariablement avec soin, ce mélange de paroles et de silences sous-jacents comme il y en a toujours eu entre nous pour nous permettre de mesurer le poid et la nature des événements. Un amalgame de confidences et de non-dits, en quelque sorte. Un rappel à l'amitié qui perdure toujours au-delà de l'éloignement, à l'intimité et à l'indestructible confiance. Il est de ces personnes dont on sait avec certitude qu'elles seront toujours là. Des relations construites avec tellement de ciment qu'on est certain que malgré les fissures, elles ne tomberont jamais. De ces gens qu'on retrouve avec des élans si forts qu'une seule soirée de bavardage permet de rattraper au vol, de comprendre et d'aimer tout autant que lorsqu'on s'est quitté.

Ma lettre est ouverte sur la table. Je la garderai dans une boîte, comme je faisais il y a 1000 ans, avant qu'on ne s'écrive que sur l'écran.

dimanche 2 septembre 2007

Portrait 4

Il écoute la tête penchée sur le côté, les yeux immobiles et les lèvres entrouvertes. Quand il parle enfin, son regard s'éloigne vers la gauche pour scruter un point invisible au-delà de ce qui existe. Il réfléchit. Sa voix est basse et ses traits s'animent, ses mains virevoltent en de larges gestes qui appuient ses propos et déplacent de l'air. Il semble ne jamais juger les actions des autres mais aime bien commenter leur apparence générale ou les paroles insensées qu'il saisit à la volée. Il est brillant et quand il défend une idée ou qu'il expose un projet, sa force de caractère et ses convictions s'étalent en longues phrases précises et étoffées. Ses bras sont un refuge solide et odorant et lorsqu'on a le front dans son cou, on sent cette artère battre plus vite que son souffle. Il a souvent de grands éclats de rire qui le font ployer la tête vers l'arrière et tressauter des épaules, on ne peut s'empêcher de pouffer avec lui de bon coeur. Il sait trouver les chemins qui mènent aux autres. Il est du genre à acheter de l'huile à massage pour réconforter une amie, à laisser une fleur sur un pare-brise pour faire une surprise, appeler à minuit pour savoir si l'autre va bien, à murmurer jusque très tard pour éloigner l'ennui ou la peur, à changer ses plans à la dernière minute pour donner un coup de main, à questionner jusqu'à ce qu'il ait les réponses qu'il cherche. Il ressemble à une allée de torches qui empêche de trébucher ou de se perdre.

samedi 1 septembre 2007

Gitane

Je viens de rentrer chez moi après plusieurs jours d'absence. Mon répondeur était engorgé de messages. Mes soeurs, mon frère et ma mère m'ont tous appelée sur mon cellulaire cet après-midi parce qu'ils pensaient que j'étais quelque part au fond d'un ravin ou plongée dans l'enfer de la drogue. Je mène une vie de gitane. J'ai parfois l'impression d'être un courant d'air; je ne défais jamais entièrement mes sacs, mes cosmétiques restent dans ma trousse, mon coffre d'auto est mon bureau et quand je cherche quelque chose, je vais toujours voir dans ma boîte à gants ou sous mes bancs pour le retrouver. Je connais les réceptionnistes des hôtels par leur prénom et j'ai des amis dans presque toutes les villes où j'ai des clients. Des gens qui ont osé me sortir de mes livres, qui m'ont forcé à lever la tête, à les regarder et à leur parler. Qui m'attendent maintenant de mois en mois pour des rendez-vous un peu imprévus, le temps d'un souper et de quelques shooters. J'aime la route à la folie. J'adore l'idée de l'impossible routine, voir à la fois la lune et le soleil quand je pars à l'aube, me sentir maîtresse de la route quand personne ne la partage avec moi, me faire des îles d'oreillers et dormir à l'hôtel dans des draps blancs en me vautrant comme dans la ouate. Rouler par défi, suivre des regards, découvrir des cafés ou des bars, connaître mon pays, être libre. Libre. Mais à force de partir, je réalise que je suis toujours contente de revenir, de poser mes valises dans ma chambre, d'aller marcher dans ma ville et de dire que je suis revenue. Tout est toujours à redécouvrir.