dimanche 23 août 2009

Je retiens les images encore un peu. Les yeux plissés sur la 20 est, une main sur le volant et l'autre serré sur la cuisse, si je pouvais ce serait mon coeur que j'empoignerais pour endiguer l'hémorragie. Ça dégouline entre mes cuisses, des larmes et des envies qui fuient par mon nombril et les pores de mes joues.

Je garde aussi les mots que j'avais pris pour des promesses. Je vais m'en tartiner la gueule comme un masque. Je l'arracherai d'un coup sec, et j'accrocherai ce moule de mon faciès de 35 ans au-dessus d'un ciel-de-lit comme le font certaines amantes avec leur ventre de femme enceinte.

Je découpe ma désillusion à l'exacto et je la colle avec un filet de salive amère sous mes semelles. Je préfère piler dessus en courant à toutes jambes que de la ressentir aussi poignante dans la canicule qui me fait suer. Affalée toute nue devant le ventilo, j'écluse sans honte une bouteille de rosé. Je regarde le silence s'émasculer sur le bord de la fenêtre en revenant chez moi.

(Je ne voulais pas que tu partes).

mercredi 12 août 2009

Mon Mike

Ça fait des mois que je ne l'ai pas vu. Peut-être même plus, je ne sais pas. Son cellulaire reste fermé et je me bute sur une boîte vocale pleine; je referme à tout coup le mien d'un geste sec, exaspérée par un silence que je ne comprends pas. Je le connais depuis toujours. Il est à ma droite sur la photo de classe prise en maternelle (celle où j'ai une couronne argentée sur mes tresses parce que j'avais été nommée reine de la journée) par un matin ensoleillé d'automne. Dès le premier jour, il a pris ma main pour me conduire vers le coin coussins où il s'est mis à inventer un univers que nous avons étoffé pendant des années. Par des conciliabules secrets dans le tuyau rouge de l'aire de jeux au parc, des aventures inventées dans nos abris de couvertures bleues, par des mots passés en classe, des lettres glissées dans l'interstice de nos fenêtres de chambres qui donnaient toutes deux sur le sous-sol. Pour accéder à la sienne, je devais passer à travers une haie grugée par les bestioles et suivre la piscine. Je laissais mon doigt courir sur la surface lisse et je me hissais souvent sur la pointe des pieds pour cueillir un peu d'eau dans ma menotte en coupe, que je laissais goutter sur mes bras ou mes joues. Pour venir jusqu'à la mienne, il marchait comme sur un fil entre les allées du potager de ma mère et il écartait les framboisiers piquants qui poussaient devant ma minuscule fenêtre pleine de perce-oreilles.

Adolescents, nous étions pendus au téléphone des heures durant. Puis vint le temps des messages laissés sur le pare-brise de sa voiture, les courriels, les textos, et encore des lettres qui arrivaient de loin en loin, et que je lisais les orteils coincées sous mes coussins, un sourire ravi dans les yeux.

Il a voyagé souvent, de l'Europe de l'Est à la Havane, de Vancouver à Pékin, de l'Angleterre au Maroc. J'ai trouvé ses lettres dans une boîte dissimulée dans le cagibi, qui sentaient la poussière, les champignons pourris et cet "amour" fou qui nous a lié pendant 30 ans. Pendant ses escales, nous nous retrouvions toujours pour un souper luxueux arrosé de vins chers et de cocktails qu'il me servait presque cérémonieusement avant de s'effondrer sur une chaise avec une attitude de voyou. Il était de loin mon meilleur ami et il connaissait tout ce que les autres ignorent de mes faiblesses et de mes folies. Nous nous donnions des surnoms de soaps américains, chantions sous les portes de la ville en jouissant de l'écho de nos voix, partions déjeuner aux États-Unis, escalader les montagnes et les fjords, nous allions nous enfermer dans l'église du quartier après minuit, juste parce que c'était un lieu qui nous permettait à la fois le silence et les larmes, et parce qu'il y avait un costumier extra. Nous nous déguisions en bergers et en pauvres femmes et nous glissions dans les travées sur des planches à roulettes destinées au baptistaire et aux lourds lutrins en chêne ou en érable.

Il était là à la mort de mon père, les épaules droites, debout et silencieux au bout de la file, le regard vrillé sur moi qui transpirait de courage et d'ardeur et d'amour, et ce sont ses bras qui ont sauvé ce jour-là. J'étais là lors du décès de son amant (et mon ami), nos corps scindés sans fausse pudeur et les nuits d'après blottis dans les effluves de vin blanc, dans la peine et les fantômes, dans la colère muette et les rêves brutaux. Quand il travaillait la nuit, j'allais lui porter des parts de gâteau aux pépites de chocolat et un thermos de café au lait. Si je revenais de voyage, il venait me chercher à l'aéroport caché derrière des gerbes de ballons et d'oursons ridicules, avec une pancarte grosse comme ça où il inscrivait des messages émouvants pour que je puisse m'écrier que ces mots étaient pour moi.

Il enrageait que je n'aie pas de fleur de sel, de riz vietnamien, de fond de veau ou de rouge à lèvre. Il m'appliquait de la poudre brillante, du mascara, des ombres qui pesaient sur mes paupières. Il voulait me tailler un toupet en biseau, teindre mes cheveux en roux et poncer mes talons avec une petite éponge. Il appelait ma mère par son prénom, lui volait des baisers et des câlins dans le cadre des portes, débarquait à 5 heures du matin à Noël pour le reste de punch et les petits pains fourrés au poulet. Pendant nos spectacles, quand les lumières étaient fermées entre deux tounes, je lui prenais la main et je la serrais pour ne pas rire pendant nos duos d'amoureux transis, et il osait parfois m'embrasser passionnément, par surprise, sous la douche lumineuse des spotlights. Pour faire vrai, qu'il disait. Je riais et il m'envoyait me changer d'une claque bien sentie sur une fesse. Il me faisait tourner en bourrique en modifiant mes partitions à la dernière minute, il étalait son perfectionnisme au-delà du mien, il me poussait à monter dans les aigus pour tester ma voix et ouvrait grand les yeux quand j'y parvenais. Il me disait de me décoincer. Que j'avais trop peur. Que j'étais si grande du haut de mes 5 pieds 2. Qu'il ne fallait jamais que je l'oublie.

Alors pourquoi il m'a oubliée, lui?

dimanche 2 août 2009

La Havane, enfin!



















Louer une voiture était au-dessus de mes moyens, et j'avoue que j'avais une légère inquiétude à conduire dans cette ville de 3 millions d'habitants. Je n'avais pas pensé au fait que la plupart des Cubains sont trop pauvres pour acheter une voiture, ce qui rend la circulation fluide comme celle d'une ville de province. J'ai pris un tour guidé pour la première fois de ma vie, moi qui n'aime guère suivre un troupeau. J'étais contente de l'avoir fait parce que notre guide était fort intéressant, d'une part, et que j'étais ravie de ne pas marcher toute seule toute la journée dans les ruelles où le touriste émane une odeur d'argent alléchante.

Impossible de faire deux pas sans que les enfants arrivent en nuée avec leurs beaux yeux bruns suppliants en nous tirant le bras, que les femmes demandent l'aumône pour leurs petiots en nous touchant le visage ou que les hommes fassent des propositions salaces. Impossible aussi de prendre des photos d'eux sans qu'ils tendent la main pour un pesos, un rouge à lèvre ou des bonbons. Lasse de me faire houspillée et un peu assommée par la chaleur accablante, je me suis résignée à ne prendre en photo que les bâtiments. Surtout que le tour à pieds était dans le quartier de la Vieille Havane, qui est résolument magnifique mais dont les rues sont asceptisées comme celles du Vieux Québec. Moi qui voulais revenir avec une série de portraits, j'ai été fort déçue.

Déçue aussi de constater que je manquais de courage pour affronter leurs regards et que je ne me sentais pas bien lorsque je me suis enfoncée dans le quartier moins touristique lors de notre heure de visite libre parce que je ne savais pas comment éviter de me faire arrêter à chaque porte cochère, ni comment tenir tête à leur colère puisque je n'avais rien à leur donner. L'odeur écoeurante de la pisse, des poubelles et du diesel me donnait un peu mal au coeur dans les rues étroites où l'air ne circulait pas du tout à 3h de l'après-midi. Moi qui supporte bien la chaleur, je traînais mes savates en dégoulinant de partout. J'ai choisi un coin d'ombre pour boire une Crystal tout juste sortie de la glace et j'ai passé une demie-heure à regarder le peuple aux abords de la foire d'artisanat. J'ai donné ma bouteille d'eau à deux gamins trop mignons et discuté avec Franck, un balayeur de rues au sourire large comme ça en regardant les enfants faire des tours de poneys, les hommes jouer aux dames et le fort au bout de la baie lumineuse.

Sur la route du retour, je n'ai pas quitté le paysage des yeux. J'adore la vie sémillante des villages cubains de bord de mer, quand à 18h le peuple se donne rendez-vous sur les places et dans les baies bordées de rochers, quand on les voit marcher en bande sautillante vers les longs sentiers de terre qui conduisent à l'océan, puis les enfants qui plongent du haut des ponts ou des estocs en faisant des pirouettes, les couples d'ados agglutinés sous les palapas. Tout le long des routes, des chapelets de Cubains attendent sous un soleil cuisant un transport qui n'arrive jamais. Impossible d'être à l'heure dans ce pays où tout fonctionne au ralenti, où l'on doit se débrouiller comme on peut, faire du troc, de l'auto-stop ou marcher des heures durant. Sous les galeries couvertes, des mères de 17 ans le bébé juché sur la hanche, sur les balcons des appartements, des hommes regardent la vie passer en devisant tranquillement. Derrière les volets toujours clos des maisonnettes, il y a toute cette vie qu'on ne voit pas, ou sinon fugacement par la porte entrebaîllée; des familles serrées devant le poste de télé qui diffuse les émissions permises par l'État, de la musique, des jeux, et des éclats de rire, tout le temps.

samedi 1 août 2009

S'envoyer en l'air

Cinq ans sans prendre l'avion, c'est long. J'adore ressentir l'excitation du voyage, quand je sais que la journée sera longue et qu'en arrivant à destination, il y aura ces odeurs qui me fouetteront quand je poserai le pied (droit) sur le tarmac. J'ai l'habitude de m'arrêter un instant pour fermer les yeux et respirer la première bouffée des vacances. Rituel pour me débarasser du quotidien pendant que mon corps absorbe la moiteur du sud.

L'ado à côté de moi était terrorisée par le décollage, les turbulences, le soleil qui entrait par le hublot (qu'elle m'a demandé de fermer alors même qu'on survolait les côtes cubaines alors là, pas question ma vieille!), et par l'atterrissage dans l'orage. Elle serrait la main de sa mère, une moustache de sueur au-dessus de la lèvre supérieure, les yeux serrés dans le treillis à côté du petit sac blanc en papier et de la brochure de Canjet. Pauvre chouette. J'avais mon livre ouvert sur les genoux mais je préférais profiter de la sensation exquise de traverser les nuages. Pendant les turbulences, j'avais envie de lever les bras comme dans le Monstre et d'hurler de joie, mais je me suis retenue. Je me suis contentée de sourire en regardant l'aile droite de l'avion tressaillir dans les grands vents. De regarder la rivière Hudson se dorer sous le soleil de la fin d'après-midi, les lacs des Caroline, les circonvolutions des villes, les autoroutes en forme de fleur, les bateaux qui laissaient leurs sillons en V comme des envolées d'oies sauvages. Les petits moutons, les rayons obliques, les arcs-en-ciel, puis les rivières sinueuses, les deltas comme des dessins recherchés, des enluminures. Je prenais des photos et je les montrais à l'ado qui se rendait compte que son vertige lui faisait rater des beautés naturelles sidérantes.

Elle disait: Tu voyages toute seule?
Oui.
Tu n'as pas peur?
Peur? Peur de quoi?
D'être avec moi-même?
Non.

Fût un temps où je n'aimais pas être toute seule. Mais plus maintenant. Il n'y a jamais de silence dans ma tête. Tous ces dialogues avec mon alter ego, entre celle que j'expose au monde et son ombre, ces blagues échangées avec la chipie tapie dans un coin de ma tête, les commentaires sulfureux, les grossièretés cachées, les envies qui jaillissent, les craintes fugaces balayées aussi vite. Je vais sortir un énorme lieu commun, mais il est trop véridique pour que je lésine à le dire: voyager seule, c'est apprendre à se connaître mieux. Défier la trouillarde, faire se lever la courageuse, sortir des livres pour observer le monde, sourire ou se refermer, avoir le vrai choix des rencontres. Marcher lentement, s'arrêter quand on veut, prendre une cuite en solitaire sur la plage à minuit, puis se faire sécher nue sur le balcon en regardant la lune. Prendre du plaisir à exister avec soi, se confronter, connaître ses failles et les colmater ou, au contraire, les accepter comme des faiblesses à dorloter puisqu'on ne peut pas toujours être fort et qu'il faut se protéger.

Accepter d'être seule, c'est arrêter d'attendre après les autres. Et c'est quand on arrête d'attendre que les choses arrivent.