mardi 8 septembre 2009

Soliloque

Je préférais passer du temps avec lui que devant mon ordinateur à chercher comment décrire le bonheur sans tomber dans le piège si évident de la mièvrerie. Un ami m'a dit hier: "Tu écris bien mais tu n'es pas écrivain ni intello". Il a raison. L'acte d'écrire n'est pas aisé, et mon univers tournait si brusquement autour de lui que j'avais toujours envie de raconter l'amour qui revenait me prendre passionnément contre un cadre de porte. Après des années de ces ébats creux qui jonchent le deuil d'un grand amour, je retrouvais la sensation incomparable de le désirer comme un homme de ma vie. Je m'autorisais à moitié à évoquer ici le lieu si commun d'une histoire qui prend forme, parce qu'elle méritait un cocon. Alors il n'avait pas tors d'attribuer mes absences d'écrivaillonne à son entrée dans ma vie.

Je me déroulais sous ses regards. Je délaissais un peu ma sauvagerie pour lui permettre d'investir l'espace qui sépare les volutes d'une carapace. Quand ses lèvres n'étaient pas en train de dévaler mon ventre, je nous construisais une histoire à pas feutrés, une de celles qui débordent des draps pour sortir se promener. Qui fait l'épicerie, des séances de photos en pleine nuit, qui dévale des centaines de kilomètres pour souper dans un pub de Rimouski, marcher en montagne ou visiter la famille. Qui organise des partys d'Halloween ou une galette des rois, invente des recettes le dimanche, joue au Scrabble créatif, aux cartes, aux dés, qui explore le sexte tantrique, le massage suédois en cabine double, qui va au ciné-parc, aux danseuses, aux matchs de baseball ou de soccer, aux compétitions de natation, au chalet des amis de temps en temps, qui lit dans le grand fauteuil, raconte sa semaine devant un Saint-Émilion le vendredi, s'empiffre de pâtes au canard, se caresse en silence pendant des heures, se découvre entièrement, se mouille, se confie, se libère. Je voulais (continuer de) vivre avec lui une histoire qui existe, comme les autres, avec son lot de chances, ses soirées mornes et les disputes qu'on jette par les fenêtres quand tout est dit. Je regrette le temps qui nous a manqué. Mais pas celui que nous avons eu. Bien sûr que non.

J'ai simplement du mal à me départir d'une intimité aussi riche. Depuis qu'il a quitté mon appartement, je me sens dépossédée, en sevrage, je me sens triste mais aussi très forte. Je sais que je m'étale mais il n'y a qu'ici que je me permets de le faire, à l'abri de ma page, dans un espace si vaste qu'il s'apparente au néant ou à l'infini. Il y a quelque chose qui me taraude et me fait tenir tête, une certitude qui s'inscrit en aparté, l'impression qu'il s'agit peut-être juste de réinventer l'histoire et de la vivre autrement. Peut-être qu'il ne nous faut pas être officiellement en couple pour construire une relation tenace? Peut-être qu'une fille de la route et un gars de la mer peuvent être heureux dans l'espace entre deux points, entre deux lits, entre deux vies qui se rejoindraient mieux ailleurs que dans la routine?

Mes amis me suggèrent de laisser filer cet amour. Il y a des minutes ou je tente de m'en convaincre aussi, mais le reste des heures m'attire irrémédiablement vers lui. Je peux me tromper. C'est sûr. Mais j'ai très envie de nous. Alors je crois que je vais le lui dire.

13 commentaires:

Doparano a dit…

Je me considère comme ton amie et je ne t'ai jamais suggéré ça parce que c'est pas ce que t'as envie d'entendre, de vivre, de VIVRE!

uovo a dit…

Chacun ses petites cuillères, sa porte, sa table basse, ça peut être vachement tenace. ;-))

Je trouve que vous lui avez très bien dit.

Gomeux a dit…

Mes excuses à ton ami mais ça fait longtemps que je n'ai pas lu autant de condescendances en si peu de mots :
« Tu écris bien, mais tu n'es pas écrivain ni intello »

C'est comique, parce qu’à la suite de cette déclaration, tu nous accroches au fil de tes mots, on te suit, on voudrait vivre cette histoire-là avec toi, en continuant de la lire des pages durant.
Ça vit, câlisse de tabarnac.
Et ça, la plupart des écrivains et des intellos cherchent encore secrètement une façon d'y arriver.
Comme ils échouent souvent, ils s'inventent un langage bien à eux, ça plait à plusieurs, ça en trompe de nombreux autres qui à leur tour juge l'écriture de tout un chacun selon ce barème.

Mais toi, Miléna, tu voles au-dessus de tout ça et je me considère chanceux de pouvoir lire ici une page de ton cahier de joies et de peines.

Puisse l'envie te prendre d'en écrire plus.

Miléna a dit…

Nonon Gom, détrompe toi! Il n'était pas du tout condescendant en me disant ça. J'ai peut-être eu tors de sortir la phrase de son contexte. Il s'agit d'un ami cher et on jasait, tsé? Je n'ai pas été blessée. Au contraire.

Quant au reste de ton envolée, elle me fait un bien fou. J'écris parce que j'en ai besoin, mais recevoir des échos tels que ceux-ci me donne envie de cesser de me censurer et de me poser 100 000 questions à chaque fois que je fais "envoyer le message".

On en rejasera un de ces soirs. :0)

Gomeux a dit…

Good, good!
Désolé pour l'ami.
Chu pas mal à pic ces temps ci.

Miléna a dit…

Viens jaser avec moi d'abord. :0)

McDoodle a dit…

« ...unless the sun inside you is burning your gut,
don't do it. » So You Want To Be A Writer

Faque do it esti! Non mais!

En fait, je passais par ici pour te raconter un petit truc rigolo. Hier soir, à chaque fois que j'empruntais le corridor pour aller à ma chambre-salon, je pensais au mot soliloque. Pourquoi ai-je soliloque en tête? que je me disais. No se. Quelle surprise ce matin quand j'ai vu le titre de ton billet!

Ça me donne le goût de faire une série policière avec, comme personnage principale, une fille qui pourrait lire dans les pensées. Du jamais vu.

Miléna a dit…

Du jamais vu certain! Quelle bonne idée. Tu pourrais l'appeler MCDOODLE, détective privée. Elle aurait un chien avec des lunettes noires en poil qui la suivrait partout et qui la réveillerait quand elle fait des cauchemards. Son amant ne pourrait jamais rien lui cacher mais elle oui, vu qu'il détesterait qu'elle poursuive les bandits à ses risques et périls. Elle lui ferait croire qu'elle est fleuriste ou préposée à domicile, aurait des taches de rousseur et une certaine tendance à la luxure. Elle n'échapperait certainement pas à de fâcheux maux de tête (on a pas un tel don de voyance sans en payer le prix!), passerait incognito en toutes circonstances et ferait secrètement l'admiration des policiers auxquels elle confierait les malfrats surpris en flagrant délit.

Ça serait top.

McDoodle a dit…

« un chien avec des lunettes noires en poil »? Tu veux dire un Barbet? Le top. On ne vise que le top. Je vais aller dormir en pensant à ma nouvelle destinée. Vrai que Je n'ai jamais vu ce genre d'émission ;-)


Vérif. : lessign (aaaaaah!)

Mek a dit…

C'est bien de viser le top.
Quant à ton écrivainitude, je considère que le type qui a prononcé ces paroles s'est pissé dessus pas à peu près.

Merci bonsoir.

Robein a dit…

J'endosse les propos d'É.

L'ami il avait raison, tu écris bien. Pour le reste, je sais pas, "écrivain" et "intello", ce sont des idées bien vagues.

Miléna a dit…

Mac: j'ai envie de rétorquer d'un commentaire salace, mais je vais te laisser l'imaginer vu que j'arrive pas encore tout à fait à ne pas me censurer. :0)

Angélus: Écrivain publie. Ce que je ne fais pas. Intello pense et analyse. Ça je le fais, mais pas avec cette rigueur théoricienne propre au genre, disons. Merci pour le reste. Et reviens. T'as un aura cornu qui n'est pas pour me déplaire.

Robein a dit…

Me revoilà déjà, avec mes cornes.

Moi j'aurais plus dit: écrivain écrit, éditeur publie.

Et la rigueur théoricienne des "intellos", ce n'est que du ciment à neuronnes, ça les fige. De toute façon y a-t-il quelque chose de plus soporiphore qu'un intello théoricien? Eurk.

a+