mercredi 22 avril 2009

Revenir enfin, mais de loin

Me voilà rendue au bout du monde. Ou presque. J'ai longé pendant deux jours des côtes arrondies dans le soleil luisant, la mer létale, engourdie par le travail de la renaissance de ses eaux, les restes d'icebergs figés sur les grèves, les lacs encore gelés des hautes collines du nord. L'excitation me faisait prendre les courbes sur les chapeaux de roues, freiner brutalement pour aller m'accrocher aux parapets, sortir l'appareil photo aux 10 kilomètres et chanter des ritournelles bêtes qui me tournaient en boucle dans la tête. Les plages blondes se faisaient lécher par l'écume dessinée des courants, les vagues laissaient des traînée de broue qu'on les aurait dit bavant telles des hystériques en crise.

Le siège d'en avant était bien vide sans toi à mes côtés. Non pas que j'aie l'habitude que tu y sois, mais je fais ce rêve récurrent que tu voyages avec moi. En fait, depuis des mois, tu es là partout où je vais. Je bavarde avec toi, je soliloque sur le ciel, le vent, la route, les arbres, les granges échouées et tout ce que j'aimerais que tu aimes avec moi. Il y avait ces canots de glaces déposés comme des chaînes sur des écrins, ce fleuve lisse où se pavanaient les rayons tombants, ces villages aux noms improbables. Je les prononçais à voix haute pour les sentir rouler sur ma langue. J'étais ravie aussi par les noms des soeurs de ma rivière qui repoussaient de leurs bras endormis les glaces trop pesantes en les laissant en pagaille sur les îlets.

Mon coeur restait suspendu au sommet des côtes d'où je voyais la neige hérisser les sommets au loin (de là où j'étais, on aurait dit du sucre en poudre), les forêts infinies, les lacs en enfilade bordés de chalets immobiles et claquemurés. C'était vraiment beau. Le menton dans le vent, les espadrilles dans le sable des bas côtés, les cheveux n'importe où, je vivais ma route avec un bonheur qui revenait me prendre en levrette après le silence moite des derniers mois d'hiver.

J'ai avalé les kilomètres jusqu'à Sept-Îles. À l'arrivée, une clarté mélancolique de novembre, la neige fondante dans le pare-brise, les rues construites au carré comme à Montréal, les lumières de l'Aluminerie géante sur la berge en face, une autre chambre d'hôtel et l'impression d'entendre ta voix comme dans un cornet de sourd qu'on poserait à l'envers près du tympan. Même à Gaspé ou à New Richmond, je ne me sentais pas aussi loin qu'ici. J'aimerais qu'on m'accorde un après-midi pour m'évader jusqu'à Havre-Saint-Pierre, tant qu'à y être. C'est dingue. Pour la première fois, je réalise à quel point notre Québec est grand. Et vraiment émouvant.

6 commentaires:

Doparano a dit…

Tout aussi émouvant que toi chère Milou!

Welcome back!

gaétan a dit…

C'est ce qui s'appelle saisir les beautés de la côte. Surtout celles entre Baie-Comeau et Godbout.
Réponse à ton invite chez-moi.

J. a dit…

Mange beaucoup de crevettes, et surtout, remonte la côte un peu plus loin. Tu verras d'énormes rochers lisses qui attrapent les vagues.

C'est bon de te suivre sur les routes, Miléna.

Miléna a dit…

Oh oui que je vais manger des crevettes. On en a bouffé dans l'auto à pleine poignées, de ces p'tites crevettes fraîches salées par la saumure naturelle de l'écume. Et en fin de semaine, je vais me pitcher la face dans le crâbe. Demain au retour du soleil, je vais m'évader quelques heures du salon du livre pour aller voir les plages. Quand ils ouvent la porte, ça sent la marée. Il pleut à boire debout du matin au soir mais on s'en tape un brin. Au pire, c'est bon pour les affaires! :0)

Mek a dit…

Un délice de te lire, oh, réverbère !

Gomeux a dit…

J'y étais jamais allé à Sept-Îles, merci de m'avoir amené jusque là.

T'es un phare ma chère.