jeudi 17 septembre 2009

Au Cap 21: détails






Ils portent attention aux détails. Mon inhabituelle retenue les taraude; ils m'observent du coin de l'oeil, font (sûrement) des messes basses dans le cagibeau quand je m'éloigne, ils me jaugent pour savoir si j'ai besoin de leurs bras ou d'espace. Ils me laissent filer pendant des heures dans la clairière avec un manuscrit et une courtepointe, partir à la recherche de la lumière déployée entre les lattes des cabanes, arpenter le jardin de fleurs sauvages et l'allée des érables. Ils me laissent les berges de la rivière, le côté nord de la grange, le sous-bois ombragé, les cimes fantomatiques de la montagne des coyotes. Mon amie glisse discrètement dans ma paume un joint à fumer près du caveau à légumes. Ils me laissent retrouver mon rythme et ces parties de moi que j'égare sur les routes. Ou même chez moi. Quand ils croient le moment venu, ils m'assoient sur une chaise droite devant eux dans un rayon oblique. La poussière lutine dans l'air chaud des braises et elle danse en contre jour devant leurs visages. M* se berce doucement les genoux relevés, la tête appuyée sur la cuirette turquoise de la berçante de son grand-père. B* se frotte les fesses contre le coin de la truie en se massant les reins, remet une bûche de bouleau et vient s'asseoir devant moi. Vodka/Jus de framboises et canneberges/eau pétillante avec cinq glaces. Ils me regardent. Ils me voient.

Ils me rattrapent au vol. Ils font fondre mes défenses en même temps que les vieux clous rouillés des planches mortes qu'on extirpe des cabanes pour les brûler dans le grand rond de feu de la clairière. Ils me tirent vers eux lentement, me tirent entre les joints des murs sans m'écorcher, ils me ramènent à nous. À moi. Avec un mot ou deux. Avec une assurance tranquille et la science infuse de mes failles. Juste comme ça, à une heure de l'après-midi, ils perforent ma surface d'étang gelé pour faire apparaître un sourire en demi-lune, pour que s'évadent les soupirs dont ils veulent que je me libère comme on crève une grosse bulle d'eau au plafond. Ça coule cinq minutes, dix tout au plus, leurs mains en coupe sur mes épaules et mon nez dans les cheveux fins de ma mie qui sentent les floralies et l'odeur indescriptible d'une vieille tendresse. La joue collée au torse noueux de l'homme des bois, sa main droite pressée sur ma nuque et la gauche sur l'omoplate. Pour la première fois depuis des semaines, je respire normalement. Leur tendresse me donne envie de pleurer de soulagement mais je me retiens. Fini les larmes.

Je voulais traverser mon deuil toute seule mais je m'y suis très mal prise. À force de rassembler en silence mes idées, mes émotions contradictoires, ma honte de l'échec et la sensation de perte immense, à force de vouloir renier le sentiment d'abandon, la fragilité qui revenait me surprendre et la déception cuisante, je m'étais isolée dans une colère butée où personne n'avait de place. Pas même moi. Ils l'ont senti beaucoup mieux que moi.

Ils proposent une chasse aux champignons. Ensuite, on ira transplanter les fougères et le couvre-sol dont j'oublie le nom. On fera une bataille de feuilles mortes, une sauce à spag' sur la truie en sirotant une bouteille de rouge, une séance de photos de la Pomponne déguisée en princesse africaine, puis on ira se coucher dans la fraîcheur des draps qui ont battu au vent tout l'après-midi. Je retrouverai la couette de plume de mamie et mes draps léopards. Les rideaux de dentelle qui laissent passer l'aube pour ne pas que je me réveille trop tard, la quinzaine de cailloux roses amassés sur la grève au début de l'été et un repos plus serein que toutes les nuits du dernier mois.

Il suffit de porter attention aux détails.

Et il suffit qu'ils soient là pour me le rappeler.

9 commentaires:

uovo a dit…

En te lisant, c'est un peu comme si j'expirai à fond au centre de ces détails qui t'appartiennent et qui semblent être une douce étreinte pour toi.
Tu es très belle.
Merci pour ce texte, il est magnifique.

Robein a dit…

Ton texte est succulent. J'espère que le vin fut bon! :)

a+

A.

McDoodle a dit…

Je suis chamboulée et apaisée.
Ça remue et me voilà re-émue.
Bye bye soupirs.

Doparano a dit…

Heureuse de te savoir plus sereine mon amie.

Doparano a dit…

Si tu continues de refuser d'écrire un roman... tu pourrais considérer l'idée de faire un livre avec tes photos ... ou une expo où nous, lecteurs, s'entasserions pour te féliciter.

Mek a dit…

Ce roman, il finira par se signaler à toi et te torde le bras très fort. Aïe ! Tu diras. Marde ! Kess-tu veux, roman ? RIen, il dira. Rien d'autre qu'un titre, une pagination, une enveloppe de papier kraft. Rien du tout.
Bises hambourgouines.

Miléna a dit…

Désolée d'avoir tardé à vous répondre... je cherchais des réparties croustillantes et elles ne viennent définitivement pas. Je peux juste vous remercier et vous dire que vos bons mots sont des lanternes chinoises. Ou équivalentes. Vous êtes une communauté précieuse pour moi.

nina a dit…

VIOLENCES+VOL :

Ceci est une tentative de gros scandale public bien gênant et qui limite étonnement les pressions qu'on peut subir, tant j'ai dû mal à trouver un avocat malgré mes efforts, afin de régler ce problème de non respect de mes droits les plus élémentaires, ce que je le conseille à chacun qui peut avoir des ennuis avec ce gros connard de sarkozy ou sa clique de clowns de flics minables des renseignements : je suis donc en train de régler un petit problème du genre détail avec cette grosse tache de si peu président de la république Française, en lui envoyant un avocat - difficile à trouver pour un simple citoyen mais on insiste - pour mises sous surveillance illégales, lynchage numérique inspiré de bonnes vieilles méthodes qui ne déplairaient pas au ku klux klan, lynchage qui n'a mobilisé personne sur le web ou dans la presse, actes de violence et pressions à mon égard et plagiat, par une grosse pétasse, vulgaire et ridicule et qui passe à la télé, ” comme si de rien n'était ”, de mes petits textes web.

Quant a sarkozy, s'il n'aime pas le web, et s'il n'aime pas la rue qui sait, la preuve, très bien se défendre, qu'il la quitte !

PS- Bien évidemment, s'il s'agit de calomnies, et qu'en plus on trouve désagréable de se faire insulter, il ne faut surtout pas hésiter à porter plainte en retour. BLOG ETC - nina

Terminé a dit…

Très touchant, ce texte... Tu écris de façon sublime!