mardi 30 septembre 2008

Des fleurs pour Doodle




Un bouquet virtuel pour toi. Une pensée qui fonce en ligne droite sur la 20 pour t'atteindre avant la fin de ta journée.

vendredi 26 septembre 2008

Au Cap 8: Ma rivière

Tous les samedis après-midi, je descends travailler ma rivière. J'enfile mes bottes de caoutchouc, mes capris kakis, un vieux tee-shirt noir et mes gants raides de terre séchée. Je me fais des lulus pour le plaisir de La Pomponne parce qu'elle me trouve "vraiment beeeeeeeeeeelle!" avec des couettes. Je mets quelques bières dans mon sac, j'accroche les grandes cisailles à mon épaule et, telle le "gars de bois", je descends la grande échelle jusqu'à mon repère. Je devrais dire "notre repère", mais au Cap, on a le droit de s'approprier ce qu'on veut.



En deux sauts, je suis sur l'Île-à-Feux. Un îlot de cailloux qui sépare les cascades en deux et sur lequel on s'est fait un grand rond de Saint-Jean-Baptiste. Il y a une roche plate pour se reposer, un bassin pour laisser traîner les bières au frais et un gourdin échevelé poli par les années, pour faire beau. Je m'arrête toujours un moment pour scruter la Forêt-des-Coyotes, sur l'autre rive. Je ne l'ai pas encore apprivoisée. Les arbres sont alignés dans la terre moisie, la pente est abrupte, jonchée de racines sombres qui sortent de la terre comme des ossements. Des troncs de bouleaux et de frênes sont couchés, mortellement touchés par la foudre ou la vieillesse. Leur peau s'effrite et les billots s'écrasent lorsqu'on marche dessus, comme des rouleaux de carton vide. L'air est dense, chargé de ces parcelles indescriptibles d'âme, ces vies cachées qui se trahissent parfois par les voix qu'on entend lorsqu'on s'y rend seul. Le nez au sol, on peut suivre les pistes de la meute qui se rassemble sur le piton à l'heure de l'apéro. De la clairière, on les entend japper, ricaner ou hurler des messages cryptés à la meute du bas, celle qui sévit de l'autre côté de la route, en bas du Cap. Je sais bien que les coyotes n'attaquent pas les femmes de bois à lulus quand elles descendent travailler la rivière. Mais j'ai toujours quelques minutes craintives, avant que les flots me rattrapent pour me vider la tête.



Travailler la rivière, c'est l'aider à respirer. Nettoyer ses rives, consolider les falaises pour éviter les éboulements qui tuent les arbres, défaire les embâcles. Tailler les cèdres et les branches mortes des sapins, ébrancher les troncs, alléger la forêt pour qu'elle s'étire mieux. Semer un tapis de trèfle, enlever les corps morts pour nourrir la truie les soirs glacés d'hiver, quand le vent glissera du haut de la montagne pour venir frapper la maison de plein fouet.





Travailler la rivière, c'est se nettoyer la tête. J'ai remarqué des changements depuis que je passe mes samedis avec elle. C'est étrange, on dirait qu'elle charrie des réponses sans que j'aie l'impression de réfléchir. Quand je déplace des roches pour l'aider à mieux bondir, je déplace aussi les poids lourds qui me ralentissent. Je la traite avec une tendresse que je ne me connaissais pas (pour une rivière, je veux dire). Je pense à elle tous les jours. Je commence à connaître ses moindres dérobades et toutes ses gambades. Ses profondeurs, ses surfaces, les ralentissements de son courant, ses pierres vicieuses, poudrées de mousse glissante et celles qui nous aident à garder pieds. Je connais les effondrements de ses berges, les mares latentes cachées sous les buissons, les détours qu'elle prend en cachette en s'infiltrant sous les cailloux pour ressortir plus loin comme un filet limpide. Émouvant.

mardi 23 septembre 2008

Soliloque

Devant l'hôtel où je crèche pour les prochains jours, je viens de voir une fille sortir de l'auto en disant à son chum: "À c'te nuitte" en soupirant telle la pierre se fend (?). Pas un regard tendre, pas une caresse du bout du doigt, pas un bec, rien. Et elle a claqué la porte. Il a démarré sur les chapeaux de roues avec sa vieille Cavalier bleue rouillée.

Hier, au resto, je regardais de temps en temps un couple qui soupait ensemble. Lui avait la tête perdue dehors, elle reluquait sérieusement le serveur. Moi aussi, vu qu'il était splendide tel le mannequin dans une annonce de plein air, le cheveu en vaguelettes indisciplinées, le regard sombre comme la nouvelle lune, le corps dompté aux escapades comme aux escalades. Sa posture était une invite à passer le plat de la main de sa nuque jusqu'à la ceinture, et même en dessous, si vous voulez mon avis. Mais n'empêche. Ils étaient assis face à face et ne se disaient pas mots qui vivent, elle et lui. L'emmerdement extrême du couple qui s'en torche.

Idoine situation avec ce jeune père qui sort sa fille un dimanche matin. Elle est rousselée comme les elfes des bois, en salopette bleue et tee-shirt rayé, bas assortis, barrettes en coeur dans les cheveux. Elle pioche d'un pied sur son tabouret pendant que son père lit le journal en sapant son café au lait en bol. Elle boit son chocolat chaud à la paille et je lui fais une sorte de clin d'oeil (en autant que faire se peut) parce que je faisais pareil quand j'avais son âge (c'est vrai que ça goûte meilleur). Il lui a adressé quatre mots: "kesse tu veux manger?" et j'ai été surprise qu'il ose ajouter une ponctuation. Il l'a laissée manger sa crêpe au sirop toute seule, les yeux au plafond, grognasse d'ennui. De temps en temps elle se tournait la mèche. Elle a même dégringolé du banc avant qu'il ne se souvienne de sa présence.

La semaine passée, je suis allée chez un couple d'amis. En arrivant, la guerre pogne (pardon, mais c'est le terme) entre ces deux-là, elle hurle, frappe dans le mur, se cogne contre la table du salon, me regarde, s'excuse et se remet à lui crier dessus. Elle court s'enfermer dans sa chambre. Lui reste là, planté dans le salon à chercher en vain un cd potable à mettre; je crois qu'il hésitait en ACDC et Aimée Mann. Savait plus trop à quels saints se vouer. L'air puait la querelle. J'ai dit: "Heu... tu veux que je revienne un autre jour?" et il a dit: "Ouais, je crois que ça serait mieux". Aujourd'hui, ils en sont au même stade, j'ai vérifié. À peine s'ils se marmonnent bonne nuit en se couchant. D'ailleurs, je me demande même s'ils dorment ensemble.

Je suis très attentive à ce qui tisse les gens entre eux. Je remarque beaucoup les silences, les regards, les postures. Je vois un homme rouler loin devant sa blonde en vélo, la laissant peiner toute seule dans la Grand-Côte de la Miche, sans l'attendre pour la motiver. Le vieux qui repousse la main de sa femme en bougonnant qu'il peut y arriver tout seul alors qu'elle veut seulement lui dire qu'elle est toujours là. Derrière mon livre ouvert, discrètement, ou en faisant mes courses, plus ostensiblement, j'espionne parfois les conversations, et c'est l'absence de mots qui me sidère. Quand on en arrive à l'indifférence, quand le moindre geste pèse, quand on s'enferme derrière 1000 raisons de tout ou de rien et quand le bonheur revient quand l'autre part, je me dis: "Merde". J'ai beaucoup de difficulté avec les non-dits, mais encore plus avec les ruptures, et tout ce qui fait qu'on s'éloigne de ce qu'on croyait si proche. Je ne termine pas mon idée ce soir. Je la mets en ligne comme ça, pour éviter de ne rien dire, encore...

mardi 16 septembre 2008

Entre les lignes (ou sous la jupe)

C'est l'histoire d'une fille assise sur un tabouret de bar, et qui raconte, sur un napperon maculé de sauce au Porto, l'histoire de l'homme rencontré un peu plus tôt. Elle griffonne avec les basses comme balises, meublant le seul espace silencieux du zinc avec les morsures bruyantes de sa plume; entre les bravades d'une bande de gars chauds et les jacassements de leurs hologrammes féminins, elle forme à peine un muret. Mais c'est un muret de béton armé et ce soir, les mots déboulent comme des amas de glaise fragile sur un cap millénaire. La masse de ce qu'elle étale devant elle est compacte, glissante et graveleuse. Elle est mouillée, dense, malléable et lourde. Après un demi-litre de rouge et devant son Amaretto double, elle penche la poitrine sur le bar, les coudes à angle droit, le menton levé, ses cheveux qui ont pris toute la pluie éparpillent dans la lumière halogène les épines d'un hérisson furieux. Elle remonte à rebours les images natives et les rebonds curieux d'une existence dont elle ignorait tout il y a quelques heures. Elle est piégée par la pupille plantée dans son crâne comme le coeur noir d'un soleil qu'on fixe trop longtemps. Ses yeux mouillés clignent à peine entre deux syllabes le temps d'imprimer des lettres maladroites qu'elle aura peine à défricher demain. L'ivresse est double en cet instant où elle prend toute la mesure de ce qu'elle transporte. Antonio, le barman italien, lui offre un second verre. Double. Avec beaucoup de lime. Elle relève à peine la tête le temps de lui sourire et de cogner son verre contre le sien; elle replonge dans les abîmes de l'autre pour extraire ce qu'elle a trouvé de mieux à dire. Elle raconte d'un trait le reste de ses fractures, ses élans de passion, son épaule contre la sienne et le fluide qui passait en ligne droite entre leurs assiettes. Elle parle de l'amour, une des choses qu'elle sait le mieux décrire et qu'il a si bien su voir pour cibler droit au coeur de ce qui la fait battre. Elle a son début d'histoire. Celle qu'elle cherchait depuis longtemps. Elle hésite puis elle signe son nom en bas du texte. Comme si elle s'appropriait ce qu'elle vient d'écrire, mais aussi la suite, qu'elle sent déjà poindre juste là, entre les lignes.

mercredi 10 septembre 2008

jeudi 4 septembre 2008

Nuit blanche

La nuit est longue. Il est agité. Il tire sur le drap en l'entortillant rageusement autour de ses poignets. Il donne des coups de pieds, il s'éveille en sursaut toutes les demies-heures en tentant de faire entrer de l'air dans ses poumons. On dirait qu'il se noie. Il regarde autour de lui en se tenant sur un coude, les cheveux en l'air, la bouche gonflée comme un gamin de 7 ans qui fait un cauchemar. Puis il soupire en se laissant retomber nerveusement, il boxe l'oreiller sans trop savoir où poser la tête. Je glisse ma main silencieuse sur son torse. Les mots seraient trop vifs dans la pénombre. Des mots exsangues imprimés sur la moiteur de sa peau, des phrases vaines tatouées dans l'espace qui sépare son épaule de la mienne. Je préfère me taire. Mais je suis là. Comme une amie qui veut lui dire cent fois "je t'aime" pour tous les mots enfuis dans les valises de celle qui l'a quitté.

À 5 heures du matin, il sort doucement du lit pour ne pas me réveiller. Il ne sait pas que je veille depuis des heures, incapable de m'endormir alors qu'il trépigne pour que se dissipent les odeurs stagnantes et les souvenirs languides. J'entrouvre les yeux pour le voir se jucher sur la tablette de l'oriel. Il regarde la ville s'étirer tranquillement pendant qu'en lui, les ombres gagnent du terrain sur l'aube. Il pose son menton entre ses genoux, ses épaules nues soulevées par des sanglots violents qu'il essaie d'endiguer en silence. Je le laisse surplomber le vide. Je me doute qu'il ne veut pas que je le vois s'effondrer. Il pleure encore longtemps avant de revenir s'étendre. Il reste d'abord loin de moi, le dos perché sur le bourrelet du matelas. Puis il se retourne et colle son ventre contre mon dos en enserrant ma taille de son bras. Je sens sa joue mouillée sur mon épaule, ses pieds froids contre mes mollets, sa respiration qui se détend. Un dernier soupir, profond et salvateur, et enfin le sommeil qui le gagne pour l'évader. C'est la première nuit la pire.

mercredi 3 septembre 2008

Un dragon dans le ventre



Il hurle au téléphone, c'est à peine si j'ai eu le temps de décrocher et de dire: "Allo?". Il hurle et il pleure et sa voix se déchire et mon ventre avec. Sa voix qui se fracasse, qui détonne, qui se casse en sanglots, sa respiration qui coupe le son et qui coupe les veines à la hauteur des poignets. Les genoux qui flanchent, mon cul sur la chaise la plus proche, ma main dans mon front, les yeux fermés.

- Comment ça, partie? Où ça? Quand? Pourquoi?
- ...
- Ok, deux secondes là. Respire. Respire, mon coeur. Essaie de te calmer et de m'expliquer. Je comprends rien.

Partie? Comment ça partie? Où ça? Et quand? Et pourquoi elle ne m'a rien dit?

- Chu arrivé et ses affaires étaient pu là. Ses sacs, ses souliers, son linge, son maquillage, son parfum... SON PARFUM, STIE! Je sais pas où elle est, je sais pas avec qui, je sais RIEN et je suis en train de capoter solide, Mil...

Et il pleure encore, j'entends le téléphone tomber, un bruit sourd, puis une sorte de hululement aigu. Une détresse qui s'évade trop vite de la gorge en s'écorchant sur les dents, un claquement de paume sur la table devant lui. Ou de poing, oui, c'est son genre de frapper du poing jusqu'à se faire mal. Tout plutôt que d'avoir le coeur en charpie. Je l'imagine dans la cuisine de leur appartement. Et j'imagine le vide autour de lui. L'air qui ne bouge plus de la même façon, le bruit de l'horloge au-dessus de la table, lancinant dans l'absence. La vaisselle du déjeuner sur le comptoir. Leurs deux assiettes. Sa tasse à talon, comme elle l'appelait. Une tasse blanche en porcelaine avec un pied comme celle qui danse dans la Belle et la Bête. Elle voulait jamais que je la prenne. Elle préférait me donner celle avec un dauphin qui dit bon matin en sautant dans les vagues.

Je ne sais pas quoi dire, ni comment rattraper la chute vertigineuse de mon ami qui pleure au bout de la ligne pour la première fois en -je ne sais plus- dix ou douze ans que je le connais? J'imagine le sang tétanisé dans ses bras, le bloc qui ne passe plus, la mélasse qui pue et qui fige ses mouvements, les sables mouvants sous ses pieds. Je le connais, son coeur. Et je connais son amour pour elle. Je sais la fureur de la fuite et tout ce qu'a d'ignoble le silence. Et elle? Que dire d'elle qui m'a caché ses distances et ses plans? Que dire de cette amie qui s'évade par un trou de souris dissimulée derrière une armoire trop lourde? Je n'arrive pas à le convaincre que j'ignorais tout. Il crie de plus belle, m'accusant de tout. D'avoir su, de n'avoir rien dit, d'être de mèche avec elle, de la protéger.

Je pleure à mon tour, bouleversée d'être prise entre leurs feux, au milieu de la foudre, comme la pupille dans un oeil crevé. Il ne me croit pas. J'aurais envie de le secouer comme un prunier. De le prendre par les épaules, de le sommer de se taire et de m'écouter. J'aurais besoin d'être près de lui, de le laisser s'agripper à mes avant-bras, de mettre mes lèvres sur sa tempe et de lui caresser la tête. Je maudis la distance et le temps. Je la maudis elle aussi d'être partie en laissant un brasier à éteindre. Il dit que toutes les armoires sont ouvertes. Qu'il a fouillé partout pour trouver une réponse. Qu'elle n'a même pas laissé un indice, et qu'il a su en voyant les tiroirs de sa commode béants et déserts. Qu'il croyait qu'elle avait fait du ménage mais qu'il avait paniqué en découvrant les tablettes vides dans la salle de bain.

- Je me sens comme une merde, Mil. Une grosse merde puante, un sac qu'on jette au bout de ses bras. Je comprends pas... Je comprends rien! Y'a deux jours, on a fait l'amour! Câlisse!

Et il tremble de partout, ses jambes sont molles. Il veut se clancher la bouteille de Jack qui traîne et fumer 3 ou 4 pétards pour se geler la gueule. Je le comprends tellement. Parfois, y'a que le liquide qui passe à travers les noeuds. Et la fumée qui s'étend dans le crâne pour flouer les idées sombres. L'angoisse. La douleur. Je lui dit de m'attendre avant de se coucher. J'avais prévu faire du bureau demain, j'ai pas de rendez-vous à annuler. Je me fais un café et je saute dans mon char.

- Tu veux pas l'appeler avant pour savoir où elle est?

Non, je veux pas l'appeler! Je suis trop en criss. Je fulmine. Vaut mieux attendre à demain. Faut essayer de patcher le vide en espérant qu'elle donne signe de vie. Tsé, je me sens presqu'aussi trahie que toi...

Léon

Ce que j'aime particulièrement de mon amant, c'est qu'il est aussi dingo que moi. Au petit matin quand il vient me voir avant d'aller au boulot, il n'arrive pas avec des croissants chauds ni un café au lait. Oh que non! Ça serait beaucoup trop prévisible!

Hier, par exemple, il s'est assis sur le bord de mon lit et alors que je peinais à sortir du sommeil, il m'a présenté sa paume ouverte. Le temps que je fasse le focus avec mon regard de taupinette, j'ai vu apparaître... UN ESCARGOT! Vivant! Avec des petites antennes frétillantes et une traînée de bave entre les lignes de sa main. En prenant le café, une fois mieux éveillée, je l'ai baptisé Léon. Il a passé toute la journée avec moi sur un lit de salade, dans un plat de sauce à spag' (vide, le plat, quand même). Je l'ai laissé se balader librement dans mon nid de coucou, où il a fait des rencontres qui ont semblé le mettre en joie. Je dis "semblé" car je ne peux en être certaine.

J'ai en effet découvert que Léon est muet. Impossible d'entendre sa voix, pas un son ne sort. À voir bouger ses antennes, on dirait bien qu'il tente de communiquer avec moi en langue des signes gastéropodique, mais je n'y comprends que dalle. Leur dialecte est assez compliqué comme ça; souvent, une seule lettre fait toute la différence entre: "bonjour" et "je veux de la salade fraîche s'il-te-plaît". Alors je tente de prévoir ses moindres désirs. Je le laisse dormir tout son saoul enrobé de feuilles cueillies dans ma courette arrière, il vagabonde à son aise sur mon bureau en laissant des déjections sur ma liste de clients, grimpe sur mon clavier, tourne autour de ma souris et vient parfois me pousser le bras de toutes ses micros forces pour que je le flatte un peu.



Léon est aussi un érudit; il est irrémédiablement attiré par les piles de livres qui jonchent mon salon. Il bave sur les couvertures en décryptant les titres, et lorsque ça ne lui plaît pas, il se laisse débouler carapace la première le long des tranches qu'il goûte quand même au passage.




Ce matin, en retournant me chercher un café, j'ai également compris que Léon est gay. Il a eu le coup de foudre pour mon "little pingouin" Jonas, qui s'est étonnamment laissé séduire par la parade de ce petit coquin. J'ai observé leur manège pendant de longues minutes, captivée par l'histoire d'amour qui se déroulait sous mon toît. Je n'ai pu m'empêcher de jouer la voyeuse pour vous faire profiter du spectacle.


Voyez l'oeillade enamourée...


Le premier french. Léon s'enhardi...

J'adore la cohabitation avec lui. Il ne perd pas de poils, ne miaule pas, ne m'égratigne pas, il ne saute pas de la fenêtre à mon lit en pleine nuit pour me réveiller, ne coûte pas cher de bouffe et ne dois pas se faire dégriffer, castrer, traiter et opérer. Je trouve que c'est l'animal de compagnie idéal. Cependant, je dois vous avouer que ça me chicotte de ne pas le voir s'égayer dans les plates-bandes avec ses congénères. Je me trouve un peu égoïste de le garder captif de mon troisième étage. Je vais peut-être me résoudre à le laisser partir bientôt.

lundi 1 septembre 2008

Pongwa




Je regardais à travers un étrange miroir les couleurs distillées par les lampes lorsque m'est soudainement apparu un curieux personnage coiffé de paille. Dès son arrivée, les rouges ont fondu pour laisser place à des langues mouvantes et glacées; la chaleur confortable du studio s'est mué en une fraîcheur désarmante. J'ai sursauté devant ce bougnoule au faciès grimaçant. Il avait l'air hargneux et il grognait dans un patois inaccessible des propos vindicatifs, en brandissant son poing noir et affûté derrière la surface étamée. Je me suis cachée derrière la table en sautillant d'effroi et en hurlant, je dois l'avouer, presqu'autant que quand je marche pieds nus sur un cadavre de canard (ou de poisson envahi de lentes grouillantes) sur la grève, au Cap.

En m'entendant m'égosiller de la sorte, mon amie s'est précipitée hors de la salle de bain pour venir voir ce qui se passait. Mon visage blême et mon doigt tremblant pointé vers le miroir l'ont tout de suite alertée et elle s'est retournée d'un coup en criant à son tour (mais de ravissement, cette fois): " PONGWA"!!! ENFIN!"

Pongwa?
Enfin?

Je me cramponnais toujours à la chaise que je m'apprêtais à lui balancer au visage au premier signe intempestif de sa part. Mais mon amie s'était accroupie et, le nez collé au miroir, susurrait dans un patois incompréhensible à l'oreille biscornue de ce laideron. Elle frottait même son nez contre le sien, un sourire épanoui sur le visage, les yeux brillants comme si elle retrouvait un frère.

- Viens, Mil, que je te présente Pongwa.
- Euh... nonon, je préfère rester ici si tu veux bien.
- Allez! Fais pas ta chochotte. Pongwa est un vieil ami. Il est pas dangereux, au contraire!

Je me suis approchée en traînant les talons sur le tapis. Je suis restée derrière elle en cherchant une cigarette dans ma poche.

- Ne fume pas, il déteste ça...
- Oui, ok. Mais c'est QUI, lui?
- J'ai rencontré Pongwa en Afrique il y a 12 ans. Son nom veut dire "Guéri". Il a été appelé à mon chevet quand j'ai attrapé l'infection qui a failli me tuer. J'ai fait un choc sceptique hallucinant, je t'en ai déjà parlé. Sans lui et son pouvoir de guérisseur, je n'aurais jamais survécue. Il a éloigné la fièvre en une seule nuit. À travers mon délire, j'entendais ses imprécations et je sentais ses mains sur mon front. Il a tourné autour de moi pendant 15 heures sans s'arrêter, et quand je me suis enfin endormie, il est reparti d'où il était venu. Puis il est revenu me voir le lendemain soir, puis 2 jours après, et il redescendait de temps à autres de son refuge pour venir me raconter ses légendes ou seulement m'écouter parler. Depuis que je suis revenue ici, il apparaît sans crier gare pour venir voir si je vais bien. Il est très gentil, Mil. Il a seulement cru qu'il s'était trompé de miroir en ne me reconnaissant pas.

J'ai regardé mon amie. Puis le bougnoule. Et encore mon amie. Et je lui ai demandé:

- Ton Pongwa, il guérit les coeurs aussi? Ou seulement les corps?
- Mets ta main sur le miroir et parle lui. Tu verras bien.

Et je me suis retrouvée assise sur mes genoux devant un miroir déformant, à raconter mes affres et mes fariboles à ce personnage surréel. Il a collé son nez à la surface, a soliloqué pendant un moment, et il y a eu cet instant de flottement où j'ai bien cru que rien ne se passerait. Puis il a tourné très vite sur lui-même une douzaine de fois et il est disparu sans faire de fumée ni même de bruit. Les couleurs se sont réchauffées et en même temps, j'ai senti des dizaines de poids morts quitter mes épaules. Tout à coup, j'avais quelques réponses et une ou deux certitudes. Woah... Pongwa. J'avais toujours la main sur le miroir. Mon amie me regardait en souriant, appuyée sur le cadre de porte derrière moi.

- Si je te l'avais dit, tu ne l'aurais pas cru, non?
- Non.
- Et voilà. Maintenant, tu sais que ça se peut. Viens, on va prendre un verre.