mercredi 3 septembre 2008
Un dragon dans le ventre
Il hurle au téléphone, c'est à peine si j'ai eu le temps de décrocher et de dire: "Allo?". Il hurle et il pleure et sa voix se déchire et mon ventre avec. Sa voix qui se fracasse, qui détonne, qui se casse en sanglots, sa respiration qui coupe le son et qui coupe les veines à la hauteur des poignets. Les genoux qui flanchent, mon cul sur la chaise la plus proche, ma main dans mon front, les yeux fermés.
- Comment ça, partie? Où ça? Quand? Pourquoi?
- ...
- Ok, deux secondes là. Respire. Respire, mon coeur. Essaie de te calmer et de m'expliquer. Je comprends rien.
Partie? Comment ça partie? Où ça? Et quand? Et pourquoi elle ne m'a rien dit?
- Chu arrivé et ses affaires étaient pu là. Ses sacs, ses souliers, son linge, son maquillage, son parfum... SON PARFUM, STIE! Je sais pas où elle est, je sais pas avec qui, je sais RIEN et je suis en train de capoter solide, Mil...
Et il pleure encore, j'entends le téléphone tomber, un bruit sourd, puis une sorte de hululement aigu. Une détresse qui s'évade trop vite de la gorge en s'écorchant sur les dents, un claquement de paume sur la table devant lui. Ou de poing, oui, c'est son genre de frapper du poing jusqu'à se faire mal. Tout plutôt que d'avoir le coeur en charpie. Je l'imagine dans la cuisine de leur appartement. Et j'imagine le vide autour de lui. L'air qui ne bouge plus de la même façon, le bruit de l'horloge au-dessus de la table, lancinant dans l'absence. La vaisselle du déjeuner sur le comptoir. Leurs deux assiettes. Sa tasse à talon, comme elle l'appelait. Une tasse blanche en porcelaine avec un pied comme celle qui danse dans la Belle et la Bête. Elle voulait jamais que je la prenne. Elle préférait me donner celle avec un dauphin qui dit bon matin en sautant dans les vagues.
Je ne sais pas quoi dire, ni comment rattraper la chute vertigineuse de mon ami qui pleure au bout de la ligne pour la première fois en -je ne sais plus- dix ou douze ans que je le connais? J'imagine le sang tétanisé dans ses bras, le bloc qui ne passe plus, la mélasse qui pue et qui fige ses mouvements, les sables mouvants sous ses pieds. Je le connais, son coeur. Et je connais son amour pour elle. Je sais la fureur de la fuite et tout ce qu'a d'ignoble le silence. Et elle? Que dire d'elle qui m'a caché ses distances et ses plans? Que dire de cette amie qui s'évade par un trou de souris dissimulée derrière une armoire trop lourde? Je n'arrive pas à le convaincre que j'ignorais tout. Il crie de plus belle, m'accusant de tout. D'avoir su, de n'avoir rien dit, d'être de mèche avec elle, de la protéger.
Je pleure à mon tour, bouleversée d'être prise entre leurs feux, au milieu de la foudre, comme la pupille dans un oeil crevé. Il ne me croit pas. J'aurais envie de le secouer comme un prunier. De le prendre par les épaules, de le sommer de se taire et de m'écouter. J'aurais besoin d'être près de lui, de le laisser s'agripper à mes avant-bras, de mettre mes lèvres sur sa tempe et de lui caresser la tête. Je maudis la distance et le temps. Je la maudis elle aussi d'être partie en laissant un brasier à éteindre. Il dit que toutes les armoires sont ouvertes. Qu'il a fouillé partout pour trouver une réponse. Qu'elle n'a même pas laissé un indice, et qu'il a su en voyant les tiroirs de sa commode béants et déserts. Qu'il croyait qu'elle avait fait du ménage mais qu'il avait paniqué en découvrant les tablettes vides dans la salle de bain.
- Je me sens comme une merde, Mil. Une grosse merde puante, un sac qu'on jette au bout de ses bras. Je comprends pas... Je comprends rien! Y'a deux jours, on a fait l'amour! Câlisse!
Et il tremble de partout, ses jambes sont molles. Il veut se clancher la bouteille de Jack qui traîne et fumer 3 ou 4 pétards pour se geler la gueule. Je le comprends tellement. Parfois, y'a que le liquide qui passe à travers les noeuds. Et la fumée qui s'étend dans le crâne pour flouer les idées sombres. L'angoisse. La douleur. Je lui dit de m'attendre avant de se coucher. J'avais prévu faire du bureau demain, j'ai pas de rendez-vous à annuler. Je me fais un café et je saute dans mon char.
- Tu veux pas l'appeler avant pour savoir où elle est?
Non, je veux pas l'appeler! Je suis trop en criss. Je fulmine. Vaut mieux attendre à demain. Faut essayer de patcher le vide en espérant qu'elle donne signe de vie. Tsé, je me sens presqu'aussi trahie que toi...
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4 commentaires:
Ah la vache!
Quel manque de couille quand même!
Toute cette histoire ! Elle est sans doute juste allée faire la lessive… à Buenos Aires.
Sans déconner, ça m'est arrivé, ça, une fois. Mais j'ai pas eu la force d'appeler qui que ce soit. Trop humiliant. J'ai couvé pendant deux semaines, à une Ballantine par jour. C'est cher, mais je suis passé au travers. C'est tout ce qui compte, souvent.
Fiction ou pas, j'comprendrai jamais ça.
Elle à quand même laissée les portes aux armoires et l'ameublement!
Les murs même, on dirait.
Y en a 15 autres qui passent en bas pendant qu'y braillent.
Les motrins m'ont transformé en monstre.
Sti de texte, sinon, miss.
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