jeudi 25 octobre 2007

Réminiscences 2

Parfois, on ne comprend rien aux départs trop longs, comme ceux qui ne font jamais revenir les personnes importantes qui s’occupent de nous. On pleure quand on ne comprends pas. Moi, j’ai beaucoup pleuré dans ma maison bleue. C’était une maison avec des murs pas solides, des murs bleus, bien sûr, dans un tissu que maman avait acheté pour la construire, quand il pleuvait un après-midi de novembre. Elle disait qu’il faut un endroit pour avoir une cachette à nous. Comme une maison dans la maison, mais juste pour une personne. Avec un coin pour recevoir un ami, si on veut. Elle m’avait fait fermer les yeux, pour y penser. Elle disait que si on pense très fort à des images, elles apparaissent dans notre paupière et qu’on peut voir comme sur un écran ce qu’on veut. Moi en tout cas, il faisait soleil dans le paysage de ma maison, parce que je voyais du jaune entrer par la fenêtre et qu’il y faisait assez chaud. J’y passais de longues heures à me plonger dans les romans que je trouvais dans le grenier de ma voisine.

Il y avait des livres tout le long des murs en pente, sur les poutres du toit, sur des vieux caissons en bois qui dataient de longtemps avant ma naissance, quand monsieur C. vivait sur la ferme de son père. Il y avait tellement de livres aussi cachés dans la poussière, même dans les toiles d’araignées, et sur des étagères qui branlaient beaucoup. C’était le grenier-aux-trésors. On y montait par un escalier qui se repliait dans le plafond, et j’avais le droit d’y aller quand je voulais avec des biscuits qui sortaient du four. Il y avait toujours quelque chose qui sortait du four chez ma voisine. Comme si elle brûlait les heures de l’après-midi exprès pour passer le temps. Alors quand j’avais envie de sucré, je traversais la haie et j’allais dans cette maison qui sentait bon le ragoût et le gâteau aux épices. Je repartais avec des piles de livres de toutes les couleurs sur des mondes qui étaient plus beaux que la vraie vie. Je veux dire, parfois les héros pleuraient ou ils avaient mal, parfois aussi les gens mourraient ou se faisaient des blessures, mais ça finissait presque toujours bien. J’entrais dans la tête des gens dans les pages et je devenais si excitée que mes yeux mangeaient les mots trop vite, et j’avais alors une boule dans mon ventre. Dans ma gorge aussi. Comme si l’air que je respirais était trop serré. Je ne lisais jamais dans le grenier parce qu’il faisait vraiment trop chaud ou trop froid. J’entrais en me tenant d’une main au rebord de la trappe et je regardais la poussière qui ne bougeait pas dans le rayon de lumière, ou j’écoutais la pluie qui tapait les tuiles. Parfois même j’entendais des petits grattements dans le coin, derrière le vieux coffre interdit. J’entrais et je respirais parce qu’il faisait silence autour et que je me sentais bien. Ma mère disait que c’était la sécurité. Moi, je disais que c’était mon univers secret, même si tout le monde savait où j’étais. Je me promenais sur le vieux tapis du milieu de la pièce, je touchais un peu aux choses du passé mais pas à tout parce que Madame C. ne voulait pas. Elle disait qu’il y a des choses qu'il faut attendre, d’autres qui sont sacrées, et d’autres pour les enfants. Alors je touchais les choses pour les enfants. Sauf quand Monsieur C. montait avec moi, quand il n’était pas au jardin ou chez les voisins pour les aider dans les tâches de la terre. J’aimais beaucoup qu’il vienne avec moi, à cause de sa salopette bleue de travail, sa grosse veste de laine qui sentait trop bizarre et ses mains noires. Je le trouvais drôle avec son gros nez et les poils qui sortaient de ses oreilles comme des petites pattes d’araignées. Il était vraiment plus grand que papa mais il avait une voix plus douce, et il n’entendait plus aussi bien que dans sa jeunesse. Il avait les yeux qui riaient même quand sa bouche était muette, et il soufflait un peu en montant. Quand il s’était remis, il ouvrait des boîtes et me racontait des histoires sur les choses qui dormaient tout au fond, couchées sur des journaux jaunis.

vendredi 19 octobre 2007

Pour contrer la grisaille







Bonne fin de semaine! (et hop! À l'apéro maintenant...)

p.s: pour le bénéfice de ceux qui viennent de se joindre à nous, j'ai une passion pour le ciel vu de mon balcon. Mes amis aussi, je crois. Le geste spontané des gens qui viennent chez moi pour la première fois est de sortir dès leur arrivée. Je ne les blâme pas, je fais la même chose tous les matins au réveil depuis 6 ans. J'ai toute une collection de photos prises hiver comme été, je ne m'en lasse pas. Je vous épargne pour l'instant celles de l'hiver, elles viendront assez vite. Je vous promets des belles tempêtes...

mercredi 17 octobre 2007

Insomniaque... encore

3h du mat'. Ça fait une heure que je tourne dans mon lit en soupirant. Très tôt, je me suis vautrée dans mon lit de la chambre 414 en grognant de bonheur à l'idée de me taper une vraie nuit réparatrice. Mais j'ai le sommeil agité et toutes les lueurs autour traversent mes paupières en me tirant vers cet éveil de trop qui fait que rendue à ce point, je ne me rendors pas. La lumière du corridor qui filtre sous la porte, la veilleuse de la salle de bain qui nimbe la chambre d'une semi clarté, les chiffres du réveil et leur halo vert diffus pour mes yeux de taupe. J'attrape mes lunettes et je descends les 4 étages pour aller prendre un peu d'air frais. La réceptionniste de nuit me jette un regard en point d'interrogation: "Insomnie", que je lui dis. Elle me lance un sourire contrit. Je suis là, debout sur le bord de la 20 à 3h du mat, à grelotter, il y a un peu de brume, je crois. Je me sens comme dans un film. Je ne croise personne et c'est dommage. J'aurais bien discuté à mots feutrés avec quelqu'un, quelques minutes. Tant qu'à y être.

dimanche 14 octobre 2007

Réminiscences

Elle cherche dans sa mémoire des souvenirs de lui et elle n'en trouve aucun qui soit beau. Elle ne voit comme dans un lointain halo que les images de la maladie qui a habité la maison pendant 3 ans comme une septième personne qui prend toute la place. Puis le détail plus précis du moment de la mort qui lui a fauché son père. Elle se rappelle l'énorme jambon à l'odeur écoeurante apporté par une voisine (elle ne peut d'ailleurs plus en manger depuis ce soir-là d'il y a presque 20 ans déjà), et de ces horribles hommes en manteaux longs qui ont sorti le corps de la maison dans une housse en plastique en levant leurs chapeaux noirs. Instant figé dans le souffle glacial de l'hiver. Vision intensément déroutante pour une fillette de 6 ans. Pour les autres aussi, d'ailleurs.

Elle ressent toujours l'absence comme de l'abandon, elle se souvient de l'étreinte qui se désserre puis du silence de l'après dernier souffle. De la place vide dans son fauteuil préféré. Elle en veut aux autres pour les souvenirs heureux qu'ils gardent précieusement, elle regrette tous les non-dits, les questions qu'elle n'a pas posées et qui la tarabustent maintenant qu'elle perçoit mieux ses lacunes. Elle en veut à celui qui n'est plus de n'avoir rien laissé pour elle, elle aurait tellement aimé lire des mots rassurants. Elle était trop petite pour se remémorer à quel point il l'aimait. Je ferai tout ce que je peux pour le lui rappeler.

mardi 9 octobre 2007

Monamant

Je suis installée à plat ventre sur mon lit comme Carry Bradshaw quand elle écrit sa chronique en fumant et en battant des pieds comme une ado de 15 ans. J'ai les pieds sur l'oreiller et je ne peux pas fumer parce que je suis dans une chambre d'hôtel champêtre. Les murs sont carreautés, mon édredon est fleuri, il y a des tableaux buccoliques sur les murs et des meubles massifs en bois qui viennent sûrement d'un antiquaire de la région. Il y a même des pensées écrites sur les portes d'une belle main d'écriture de grand-maman: Travaille comme si tu n'avais pas besoin d'argent, aime comme si tu n'avais jamais été blessé, danse comme si personne ne te regardait. Ou encore: Si aimer est un crime j'en ai commis un grand car je t'aime tendrement.

J'avais rendez-vous avec quelqu'un qui n'est pas là. Imprévu majeur de l'existence, ça faisait des lustres qu'on devait se retrouver, je comptais les dodos qui me séparaient de LUI. De ses yeux posés sur moi comme des putains de braises incandescentes, de sa voix sur mes lobes et dans mon cou et sur mes lèvres, de ses bras tellement sexy qui me propulsent et de ses petits plis juste là, de ses grands éclats de rire qui font fondre toutes mes réserves et de cette façon particulière qu'il a de me faire sentir telle la grande déesse de l'amour et du sexe puissance mille qui fait décoller du sol et remplir l'espace d'atomes explosés et de grands frissons magistraux. Je viens de me retourner sur le lit vide comme une crêpe les bras en croix et les yeux au plafond à la seule évocation de la façon dont cette chambre pourrait être remplie.

Je l'appelle Monamant. En un seul mot. Avec une majuscule comme chacune de nos rencontres brèves et espacées. Qu'on garde tous deux en tête pendant des heures pour les frotter sur les parois du crâne et laisser déteindre les nuances de chacun des gestes, pour les empêcher de se dissoudre trop vite, pour retenir le grain des paroles et le métal du registre descendu des voix. Qu'on revoit à la loupe avec des brûlures aux paumes et des ramolissements de partout, qu'on protège des soupirs nostalgiques et des courbatures du coeur, qu'on chérit parce que c'est exactement ce qu'il nous faut. Je me jette sur le côté un oreiller callé entre les jambes. Je ferme la lumière.

Quand j'étais petite, avec mon père, on avait une plage secrète qu'il avait baptisée AKILAWI.

LUI, c'est carrément mon AKILAWI d'adulte. Une plage dissimulée que personne ne connaît, un endroit protégé où prennent place des histoires qui tiennent dans le silence, des échos à chacun des pas, le sol craquant de millions de minuscules coquillages nacrés qui restent pris dans les rainures de mes semelles. Des moments figés sur tout ce que je possède de contradictions, des minutes entières de brume opaque et de vaguelettes qui lèchent les pieds, des aubes frisquettes et humides, des départs précipités pour cause de marée haute.

Je reste sur le côté, un oreiller entre les bras.

vendredi 5 octobre 2007

Comment dire

J'ai eu l'occasion il y a quelques jours de sortir des mots un peu pris au travers de la gorge pour donner des explications. À une question très personnelle et sensible. En général, je parle avec une facilité désarmante; à ce moment-là, j'étais vague et hésitante parce qu'il m'arrive de plus en plus souvent d'avoir peur de la façon dont ils franchissent le seuil. J'ai peur de leur poids, de ce qu'ils risquent de provoquer de rédition s'ils sont pris pour ce qu'ils ne sont pas. Peur aussi de la façon dont ils sont parfois colportés pour arriver en bout de course détraqués et corrompus.

Alors j'en ai ravalé la moitié et j'ai mis le bouchon sur la bouteille. Ce que j'avais à dire ressemble pourtant à une fumée bleue qui tournoie dans des rayons obliques. C'était léger et transparent, un peu éthéré, même. Je voulais simplement traduire des sensations diluées par le temps et l'espace, quand les images ont pris la place qu'elles méritent dans l'hémisphère gauche. J'ai fait l'huître et j'ai laissé la question en suspend. L'autre a levé un sourcil, je me suis levée et je suis sortie fumer une cigarette en maudissant cette façon à peine dissimulée de fermer la porte au nez de quelqu'un.

J'ai ensuite marché longuement en lui répondant dans ma tête. Mais les mots qu'on ne dit pas ne reviennent jamais, et s'ils ressurgissent à l'occasion, ce n'est jamais de la même façon.