jeudi 9 juin 2011

Remplacer la chauve-souris par une nouvelle maîtresse

Plusieurs heures manquent à ses nuits. À peine allongée dans ses draps bleus, elle plonge en apnée. Elle cesse de respirer quelques secondes, une minute, parfois deux et dans son ventre naissent la houle et les vagues contenues entre ses côtes. Elle se réveille alors en aspirant l'air dans un puissant râle qui pousse l'oxygène jusqu'à ses doigts repliés.

Comme un nouveau né prend sa première respiration en pleurant. Elle a l'impression de naître vingt, trente, cent fois par nuit. Sa gorge est obstruée par des entraves invisibles. Constamment tirée du sommeil par ses étouffements spontanés, elle devient exsangue et un peu déjantée. Le son du réveil lui tire parfois des larmes. Même la musique ne lui donne pas envie de se lever.

Elle fait fuire quelques amants qui craignent qu'elle meurt étouffée dans leurs bras. Elle dort souvent seule ramassée autour des oreillers qu'elle élève en barrière contre les nuées d'araignées rouges qui descendent de son plafond. Elle rêve à sa dernière maîtresse. Celle qu'elle voulait accrocher à ses rideaux pour pouvoir la regarder flotter, ses fesses griffées dans l'aube et ses cheveux comme des fils de Liliputiens enlisés au matelas. Elle aimait poser son menton entre ses seins et respirer l'odeur de ses cuisses. Elle avait trouvé l'endroit parfait où elle pouvait déposer sa tempe. Et une paume ouverte qui embrasait la nuit. Les heures refusaient de se perdre, pour une fois conjurées par les balises de sa peau. Elle lui insufflait l'espace et ouvrait ses bronches, son plexus, ses poumons, son ventre, son diaphragme et propulsait sa voix. Dans ses songes se promènent aussi des visages flous et surviennent des accidents réels, qui la trouvent debout au milieu de sa chambre, en sueur et déroutée. Elle retire ses sous-vêtements trempés et se rendort pour la quarante-deuxième fois en se berçant.

Alors le jour une chauve-souris affolée vole dans son crâne. Ça lui fait perdre l'équilibre. Elle se cogne contre les meubles, les cadres de porte et sur les poteaux, un samedi sur deux elle déboule les escaliers ou se tord les chevilles dans les nids-de-poules. Son amie -qui est un peu sorcière- croit très poétiquement qu'elle perd pieds momentanément. Celui qui prend soin d'elle après ses chutes trouve plutôt qu'elle devrait laisser tomber les talons hauts et s'agripper aux murs. Elle pense secrètement qu'il pourrait lui tenir la main au lieu de la lui tendre et qu'il serait bien qu'il protège ses nuits en l'avalant entre ses cils.

Certains matins elle range son lait dans l'armoire et oublie les feux du poêle allumés. Elle oublie son cellulaire et ses clés, descend trois fois par jour au dépanneur chercher ce qui lui manque, laisse traîner sa liste d'épicerie sur la table et les portes d'armoires à portée de son front. Elle glisse sur les cailloux englués des rivières et sur la poussière qui roule sur les trottoirs, ses genoux sont couverts de gales comme une enfant de six ans, ses bras et ses jambes sont constellés de bleus. Elle évite curieusement les fractures du crâne, les commotions cérébrales et toute forme de cicatrices apparentes. Comme rien de grave ne lui arrive, ses amis rient gentiment de sa maladresse, ravis par la somme de ses déboires puisqu'ils ne la privent pas de l'auto-dérision qu'elle alimente pour susciter les boutades.

Elle voudrait pourtant trouver le sommeil et remplacer la chauve-souris par une nouvelle maîtresse, qui l'affolerait autant mais qui lui rendrait son équilibre et sa voix.

mercredi 18 mai 2011

Your skin made me cry



Il aurait fallu que je laisse le silence dévier la courbe de mes envies. Que je lise mieux entre tes cils les mots rares que tu jetais entre les syllabes affolées que je scandais pour occulter le vide entre nos corps. Il aurais fallu que je me taise et que j'écoute mieux tes gestes, que je sonde tes retranchements et tes dérives. Il n'y a pas de fautes, seulement des maladresses. Des mains vides qui tâtent un flot d'objets imaginaires, des illusions de bonheur comme des nuées de papillons bleus transformés en flammèches incandescentes sur nos épidermes. J'aurais dû sortir marcher, prendre le large un jour de mai pour ne rentrer que trois jours plus tard avec la certitude que nos traces s'effaçaient à mesure. Nous avancions en nous portant tour à tour au lieu de marcher ensemble en nous tenant la main. J'aurais dû sortir de moi pour entrer un peu mieux en toi au lieu d'user ma voix et de mes bras pour te retenir. Je vois des bracelets serrés et des draps lourds. Un loup écarté sur une colline, des hiboux échevelés dans la lumière embrouillée d'une lune de juillet. Une faille. Un éboulis. La panique. Des pas affolés sur des pierres fragilisées par l'écume des grandes marées, des perditions sur des chemins de fer rouillés, des haltes et des rebours, que des fuites. L'impression de ne pas s'appartenir et de flotter sur les vents contraires jusqu'à se déposer enfin à l'endroit exact où il faut être pour reprendre son souffle. Quand on s'est finalement regardés dans les yeux, toi et moi, au bout de la course... c'est peut-être ce que nous avons tout à coup appris.

Toi à parler, moi à me taire.

mardi 10 mai 2011

Les cicatrices sont des poussins.

La côte est une femme plantureuse tout en courbes et en falaises luisantes des cascades d'eau qui glissent sur sa peau. Elle en parcourt les routes les fenêtres ouvertes pour capturer le souffle marin qui nettoie l'âme en piquant les joues. Il pleut. Les rivières débordent dans les congères en grandes rigoles sautillantes comme des troupeaux de moutons blancs affolés. Elle a baissé les bancs de sa voiture pour transporter ce qu'elle avait d'essentiel. Elle pourrait bien ne plus revenir. Tout ce qui reste chez elle est superflu: des tasses disparates, des draps aux couleurs passées, des meubles qu'elle avait amassé à gauche et à droite pour se donner l'impression d'avoir un chez soi. Elle a laissé ses trousses à crayons, ses lanternes chinoises, sa collection de sable blond, noir et roux, la coutellerie de sa grand-mère, des cassettes enregistrées quand elle était adolescente, les outils dont elle ne s'est jamais servis, les phrases jetées sur des napperons de restaurants, sur des signets ou des serviettes en papier déchirées. Elle a aussi laissé ses diplômes, tous ses albums photos, les vieilles diapositives de son enfance, les jeux auxquels il manque des pions, une centaine de National Geographic et des dizaines de boîtes de livres. Elle a seulement entassé dans de grands bacs en plastique quelques vêtements, son ordinateur portable et ses bottes de pluie.

Elle ne fuit pas elle s'évade, transportée par la voix muette de ses fantômes et par les cicatrices qu'elle cache à l'intérieur d'elle. Elle s'évapore pour aller caresser les striures blanches qu'elle porte sur son coeur, dans son ventre et sa tête. Ses cicatrices sont des poussins fragiles dont les plumes encore collées doivent sécher avant de se transformer.

Son cellulaire vient de rendre l'âme. Personne ne sait où elle est ni où elle va. Elle veut qu'on la recherche mais pas qu'on la trouve. Elle court vers un espace qui ne serait qu'à elle, loin des lieux qu'elle a toujours fréquentés, à l'abri des regards qui quêtent une image à laquelle elle ne veut plus répondre. Elle a noué un fichu thibétain sur ses boucles. Elle ne s'est pas maquillée, a enfilé le vieux pull marin de son père, celui qui sent l'humidité et les embruns, a chaussé ses vieux espadrilles et mis les jeans qu'elle réservait aux travaux et à la peinture. Elle a coupé ses ongles, oublié de se faire les sourcils, ne s'est pas rasé les jambes ni les aisselles. Sous ses vêtements, un vieux slip rayé bleu et blanc et un soutien gorge sans dentelle. Elle fait la grève des artifices. Le soleil dessine ses courbes lumineuses derrière la fumée des nuages. Elle vient de perdre le poste de radio qu'elle écoutait. Une marmotte traverse la route devant elle. Ce soir elle sera loin.

mardi 26 avril 2011

Madame C.

Elle avait taillé un passage dans la haie qui menait à notre maison. Je détestais la traverser quand il pleuvait en novembre, mais j’aimais bien la rosée du matin qui se déposait sur mes bras quand j’allais chez elle au petit matin. Je devais ensuite traverser le potager double tout en résistant pour ne pas piger sur les grappes de tomates cerises et les pois sucrés, puis je passais dans l'odeur d'essence du garage et j’entrais par la petite porte de la cuisine. J’étais sûre de la trouver là. Elle passait son temps à embaumer l’air de biscuits aux brisures de chocolat, de pains aux bananes, de pudding chômeur, de grands-pères au sirop d’érable, de pâte à crêpes, de carrés au Rice Crispies ou de sucre à la crème. Elle faisait des confitures de petites fraises sauvages, des compotes de pommes, du ketchup aux fruits maison -dont je détestais l’odeur - des betteraves ou de la soupe. Toutes sortes de soupes aux étoiles ou à l’alphabet. Elle coupait les légumes pour un bouilli, roulait des fonds de tartes sur sa table enfarinée, désossait un poulet, épluchait des radis qu’elle mangeait avec une grosse tranche de beurre frais. Quand je lui demandais de m’enseigner ses recettes, elle riait en disant qu’elle faisait tout à l’œil.

Parfois, une montagne de chaussettes à repriser attendait dans son vieux panier en osier. Elle réparait les trous avec du fil épais, ça faisait des talons rêches et inconfortables mais elle ne voulait pas qu’on s’en plaigne. Quand elle voulait tricoter, elle sortait des sacs de laine que nous roulions en pelotes serrées tout en bavardant devant un verre de limonade fraîche ou un chocolat chaud à la guimauve. L’horloge égrenait les minutes par-dessus le cliquetis de ses aiguilles. Sur le bahut, il y avait des bocaux de glosettes aux raisins, de smarties, de biscuits, de caramels au beurre et un vieux cendrier soufflé rempli de bonbons dont le cœur mou fondait sur la langue. Près de l’entrée, un petit bol ciselé rempli d'inépuisables cœurs à la cannelle.

Le boudoir attenant à la cuisine était tapissé de livres du plancher au plafond dans des cases de bois peinturées en blancs. Cette petite pièce sentait le steak haché et le vieux tissu des chaises berçantes ancestrales. Je jouait à l'araignée dans les couvertures crochetées empilées sur le sofa. C’était ma bibliothèque municipale privée. Quand je venais me ravitailler, elle prenait les lorgnons qui pendaient au bout d’une chaîne en argent contre sa poitrine plantureuse, elle les fichait au bout de son nez et sortait son air de maîtresse d’école tout en vérifiant mes choix. J’étais encore trop jeune pour avoir droit de tous lire; elle gardait la liberté de me dire non. Je repartais en tenant une pile serrée contre mon ventre, je traversais la haie en sens contraire en repoussant les branches d’une main, puis je courais m’enfermer pendant des heures. Parfois, le dimanche, elle venait déposer une boîte en carton devant ma porte. Je savais qu’elle revenait du marché aux puces alors je me précipitais pour voir les trésors qu’elle m’avait dénichés. Presque toutes les lectures de mon enfance viennent d’elle. Elle m’amenait aussi des blocs de jeux, des mots croisés, des mots cachés, des livres à colorier, du papier calque et des crayons. J’imagine qu’elle m’a forgé autant que mes parents. Sans elle, je serais résolument différente. Elle a semé tant de choses qui sont comme des racines profondes. Parfois, il me prend l’envie de couper quelques tiges de ce qui en est ressorti de bon et d’aller les lui offrir en cadeau.


Nous l’avons toujours connue. Elle s’occupait de nous comme si nous étions ses enfants, jetant constamment un œil sur le jardin où nous jouions. Dans la cave fraîche de sa maison, à côté de la salle de lavage, elle gardait aussi toute une réserve pour ma mère. C'était notre dépanneur. Il y avait des crèmes de tomate et de champignons, du sucre, de la farine, du sirop d’érable, des pâtes, du bouillon de poulet, du gruau, des céréales. On pouvait aussi repartir avec seulement une tasse de crème, une demie livre de beurre ou un fond de mélasse. Elle notait nos « emplettes » dans un carnet boudiné et elle réglait ses comptes avec mes parents le vendredi. Elle venait à la maison pour nous faire à manger les midis d’école et elle revenait à 3h nous accueillir pour les devoirs qu’on faisait en mangeant une collation dès notre arrivée à la maison. Plus vite c’était commencé, plus vite c’était fini. Il était inutile de vouloir changer la routine. Il ne nous serait même pas venu à l'idée de la contredire ou de tergiverser.

Elle insistait pour que nous fassions nos lits tous les matins, elle nous forçait à manger nos croûtes (qu’elle découpait en petits morceaux et qu’elle beurrait individuellement), à plier nos vêtements convenablement et à fermer les lumières dans chaque pièce lorsque nous n’y étions pas. Quand mes parents partaient en voyage, elle nous aidait à suivre leur itinéraire en mettant des punaises sur la carte de leur trajet. Nous dessinions des croix sur le nombre de dodos qui restait avant qu'ils reviennent. D'une poigne de fer elle nous a appris l’obéissance et la discipline, mais aussi la générosité et le don de soi. Je ne me souviens pas qu’elle m’ait serrée dans ses bras ni bercée. Pourtant, chacun de ses gestes était une irrémédiable preuve d’amour. Elle était à la fois rassurante et sévère, douce et intraitable. Il était impossible de marchander ou de remettre à plus tard ce qu’elle nous demandait de faire. Nous l’aimions et la craignions un peu. Notre réserve était sûrement due à la peur de la décevoir.

Des années me séparent de la dernière fois où je l’ai vue. Je me dis souvent que je devrais m’arrêter devant sa maison, entrer par la petite porte de la cuisine et m’asseoir devant elle pour rouler ses balles de laine ou lui faire la lecture, peut-être, si elle est trop vieille. Je pourrais lui faire ma crème de carottes au curry et poires, mon gratin de coquillettes et mon gâteau aux pommes sauce au rhum. Je lui parlerais des livres que je vends et de ceux que je lis. Je pourrais lui en prêter quelques uns.

Soliloque

Je ne sais pas si je vais un jour parvenir à t'oublier. Je vais sûrement garder ta manière de couper les oignons et de faire caraméliser des échalotes françaises dans le vinaigre balsamique et le sirop d'érable. Je vais m'acheter une poêle en fonte striée et des nouvelles chandelles, je vais changer ma déco et mes coussins. Je vais mettre du turquoise ou du rose dans mon aura et m'acheter de nouvelles plantes grasses et douces. Je vais aussi continuer de regarder la cote des films sur IMDB avant de les louer, pour être sûre de ne pas regarder de la crap. Je vais continuer d'aller travailler au café le vendredi après-midi devant un grand cappuccino avec le couvercle en bec de canard. Je vais faire mes marinades, ma sauce à pizza, je vais tenter d'inventer des recettes et dormir du côté gauche du lit. Je vais encore rouler à l'aventure le samedi après-midi pour aller photographier les grèves ou les ponts couverts, je vais aller voir des shows toute seule, prendre une bière au bar le mardi soir, louer des séries et les écouter jusqu'à 4h du matin enroulée dans ma doudou. Je vais me bercer quand je serai trop seule. Passer mes mains en rond sur mon ventre pour me calmer quand je serai angoissée la nuit. Je vais m'étaler en diagonale, me lever à l'aube. Je vais sautiller, écrire, lire des journées entières, faire des feux sur la grève, travailler la terre, je vais tourner mon regard vers ceux qui en veulent et aimer en général au lieu d'être amoureuse en particulier.

Je vais traîner tes yeux et ton sourire dans une pochette de cuir fermée avec un petit cordon de laine. Je vais caresser mes souvenirs et me dire qu'après un chapitre vient un autre chapitre ou l'épilogue. Ça dépend. On finit toujours par parler des mêmes choses avec des mots différents parce qu'on ne réinventera pas la roue. Tout se résume à l'amour et à la perte et sans la tristesse, tout le monde sait que le bonheur n'existerait pas. Il suffit de naviguer entre les deux et de laisser les cases se remplir et se vider, comme les creux entre les rochers les jours de grandes marées. J'essaierai de trouver les mots qui parlent plus de la joie que de la tristesse pour ne pas me sentir ingrate et revêtir inutilement un costume de drama-queen en mal de spectacle. J'ai oublié certaines choses au courant des derniers mois. Je suis revenue ici pour m'en souvenir.

Pour paraphraser quelqu'un: Toute va t'être correct.

vendredi 22 avril 2011

La manière de quitter quelqu'un


Il était juché sur le tabouret de son coin cuisine, les épaules basses, le visage tourné vers le panorama que lui offraient les grandes fenêtres orientées plein nord. Au loin, les montagnes s'évaporaient dans la lumière mourante du crépuscule. Il ne voyait presque plus la Vallée-des-Sorcières. Des langues de brume traçaient nettement le contour des rives de la rivière Saint-Charles, il les regardait monter comme la robe des fantômes qui l'habitaient.

Il réfléchissait. Près de son verre de rhum glacé, une lettre froissée par son passage répété sur des mots qui ne disaient rien. Ou si peu. Je ne t'aime plus. Je ne t'aime plus. C'est tout ce qu'il pouvait retenir des lettres qui se précipitaient dans le vide ponctué des phrases creuses. Il l'avait d'abord lue très vite, puis il avait recommencé plus lentement pour être sûr de ne rien laisser filer. Il voulait capturer chacun de ses mots parce qu'il avait la sensation qu'ils étaient tout ce qui lui restait de sa femme. Elle ne répondait à rien de ce qu'il lui avait demandé.

Il s'était pourtant résigné plus facilement qu'il ne l'aurait cru à la fin de leur amour. Il comprenait très bien la possibilité qu'elle ne soit plus amoureuse de lui, les années étant souvent meurtrières et voraces. Il ne pleurait plus seulement parce qu'elle l'avait quitté. Sa tristesse était désormais faite de colère, d'amertume, d'impuissance et de dizaines de questions restées sans réponse. Jamais il n'aurait pensé qu'elle pouvait à ce point oublier la tendresse résiduelle des années qu'ils avaient passé à s'aimer. Il aurait souhaité qu'elle prenne au moins le temps de bien le quitter.

Qu'elle pense à la panique que son silence ajoutait à la douleur normale d'un deuil qu'on amorce, aux insomnies hantées de paroles sourdes, aux conversations imaginaires qui le faisaient marcher pendant des heures dans les rues de son quartier à la recherche d'un écho. Il en voulait à son manque de courage. Il lui en voulait d'avoir ignoré les signes de son désamour. La colère lui coupait le souffle. Il avait tout fait pour essayer de dissiper sa froideur. Il refusait de se buter au regard désert qu'elle posait désormais sur lui alors il s'était mis à nu dans l'espoir qu'elle le reconnaisse. Qu'elle se souvienne qu'il s'agissait de lui. Il avait envie de hurler: comment peux-tu agir ainsi avec MOI? Il aurait voulu qu'elle se retourne - même brièvement- pour s'assurer qu'il n'allait pas trop mal.

Il était tombé amoureux parce qu'elle était la femme la plus douce et la plus rassurante qu'il ait jamais rencontrée. Il avait été séduit par sa bonté, sa vivacité d'esprit, par le regard tendre et lumineux qu'elle posait tous les jours sur lui. Elle était entrée dans son univers en papillonnant, heureuse et légère et intègre. Il adorait la bulle de leurs moments intimes, la qualité de la relation qu'ils avaient réussi à construire en traversant la vie coude à coude. Il avait confiance en elle. Soudain, plus rien de ce qu'il connaissait d'elle ne semblait vrai. Il n'avait rien fait pour qu'elle le déteste; il ne l'avait pas trompée, ne lui avait pas menti, ne l'avait jamais trahie. Les erreurs qu'il avait commises étaient des petites encoches normales, des parenthèses faciles à refermer. Voilà pourquoi il ne comprenait rien à sa visible indifférence. Il voulait qu'elle continue de déverser encore un peu de sa douceur autour de leur drame pour calmer l'angoisse de la séparation.

Il se sentait rejeté deux fois. Hier, elle était sa force. Aujourd'hui, elle était sa plus grande faiblesse. Il ignorait comment il allait trouver le courage de la laisser partir. Tout serait plus facile si elle reconnaissait qu'ils devaient rompre ensemble comme ils s'étaient aimés.