vendredi 22 avril 2011

La manière de quitter quelqu'un


Il était juché sur le tabouret de son coin cuisine, les épaules basses, le visage tourné vers le panorama que lui offraient les grandes fenêtres orientées plein nord. Au loin, les montagnes s'évaporaient dans la lumière mourante du crépuscule. Il ne voyait presque plus la Vallée-des-Sorcières. Des langues de brume traçaient nettement le contour des rives de la rivière Saint-Charles, il les regardait monter comme la robe des fantômes qui l'habitaient.

Il réfléchissait. Près de son verre de rhum glacé, une lettre froissée par son passage répété sur des mots qui ne disaient rien. Ou si peu. Je ne t'aime plus. Je ne t'aime plus. C'est tout ce qu'il pouvait retenir des lettres qui se précipitaient dans le vide ponctué des phrases creuses. Il l'avait d'abord lue très vite, puis il avait recommencé plus lentement pour être sûr de ne rien laisser filer. Il voulait capturer chacun de ses mots parce qu'il avait la sensation qu'ils étaient tout ce qui lui restait de sa femme. Elle ne répondait à rien de ce qu'il lui avait demandé.

Il s'était pourtant résigné plus facilement qu'il ne l'aurait cru à la fin de leur amour. Il comprenait très bien la possibilité qu'elle ne soit plus amoureuse de lui, les années étant souvent meurtrières et voraces. Il ne pleurait plus seulement parce qu'elle l'avait quitté. Sa tristesse était désormais faite de colère, d'amertume, d'impuissance et de dizaines de questions restées sans réponse. Jamais il n'aurait pensé qu'elle pouvait à ce point oublier la tendresse résiduelle des années qu'ils avaient passé à s'aimer. Il aurait souhaité qu'elle prenne au moins le temps de bien le quitter.

Qu'elle pense à la panique que son silence ajoutait à la douleur normale d'un deuil qu'on amorce, aux insomnies hantées de paroles sourdes, aux conversations imaginaires qui le faisaient marcher pendant des heures dans les rues de son quartier à la recherche d'un écho. Il en voulait à son manque de courage. Il lui en voulait d'avoir ignoré les signes de son désamour. La colère lui coupait le souffle. Il avait tout fait pour essayer de dissiper sa froideur. Il refusait de se buter au regard désert qu'elle posait désormais sur lui alors il s'était mis à nu dans l'espoir qu'elle le reconnaisse. Qu'elle se souvienne qu'il s'agissait de lui. Il avait envie de hurler: comment peux-tu agir ainsi avec MOI? Il aurait voulu qu'elle se retourne - même brièvement- pour s'assurer qu'il n'allait pas trop mal.

Il était tombé amoureux parce qu'elle était la femme la plus douce et la plus rassurante qu'il ait jamais rencontrée. Il avait été séduit par sa bonté, sa vivacité d'esprit, par le regard tendre et lumineux qu'elle posait tous les jours sur lui. Elle était entrée dans son univers en papillonnant, heureuse et légère et intègre. Il adorait la bulle de leurs moments intimes, la qualité de la relation qu'ils avaient réussi à construire en traversant la vie coude à coude. Il avait confiance en elle. Soudain, plus rien de ce qu'il connaissait d'elle ne semblait vrai. Il n'avait rien fait pour qu'elle le déteste; il ne l'avait pas trompée, ne lui avait pas menti, ne l'avait jamais trahie. Les erreurs qu'il avait commises étaient des petites encoches normales, des parenthèses faciles à refermer. Voilà pourquoi il ne comprenait rien à sa visible indifférence. Il voulait qu'elle continue de déverser encore un peu de sa douceur autour de leur drame pour calmer l'angoisse de la séparation.

Il se sentait rejeté deux fois. Hier, elle était sa force. Aujourd'hui, elle était sa plus grande faiblesse. Il ignorait comment il allait trouver le courage de la laisser partir. Tout serait plus facile si elle reconnaissait qu'ils devaient rompre ensemble comme ils s'étaient aimés.

8 commentaires:

Mek a dit…

Ah, la sale garce, avec sa « visible indifférence ».
Ce qui n'est que de la flemmardise, n'est-ce pas ? De la médiocrité intime. On en fabrique, non ? À la mégatonne. C'est l'industrie du minable ordinaire à l'œuvre. Uhm… Je nous souhaite à toutes et tous de s'affranchir de ça. De jaillir des ornières à plein empennage, de s'élever, de saisir la barre du jour pour en faire un instrument, un jeu, une danse.

Tu ne peux pas savoir ma joie de te voir dans le blogroll ce matin. Bon retour à la maison. Tu m'as manqué grave.

piedssurterre a dit…

Oui, c'est bon de te retrouver avec ce texte puissant.
Reste avec nous.

Miléna a dit…

E: Tu m'as manqué aussi. Je suis revenue. Faut des distances, parfois, tsé? Mais là j'en veux plus... Je reste.

LeDZ a dit…

Tellement touchant... si vrai... malgré le fait que je suis plutôt discret, merci!

Gomeux a dit…

Samedi matin dans une chambre d'hôtel de Chipoutimi, ça sent la poche de hockey et l'odeur que font quatre gars sur la brosse en dormant.
Je suis le premier debout, je pogne le téléphone «intelligent» d'un des boys, check mes emails et l'inaction sur mon bloye.
Soudainement, à travers les volutes d'alcool restantes dedans ma tête, j'aperçois ton nom dans ma liste de blog et je me dis, toute va t'être correct.
Oui.
Ta plume fait du bien.

Miléna a dit…

toute va t'être correct, oui.
Ton nom fait du bien dans mes comms. On dirait que je rentre à la maison.

Gomeux a dit…

Bienvenue chez vous, chère.

Doparano a dit…

Moi aussi je rentre chez nous. Tu m'a crissement manquée!