mercredi 18 mai 2011

Your skin made me cry



Il aurait fallu que je laisse le silence dévier la courbe de mes envies. Que je lise mieux entre tes cils les mots rares que tu jetais entre les syllabes affolées que je scandais pour occulter le vide entre nos corps. Il aurais fallu que je me taise et que j'écoute mieux tes gestes, que je sonde tes retranchements et tes dérives. Il n'y a pas de fautes, seulement des maladresses. Des mains vides qui tâtent un flot d'objets imaginaires, des illusions de bonheur comme des nuées de papillons bleus transformés en flammèches incandescentes sur nos épidermes. J'aurais dû sortir marcher, prendre le large un jour de mai pour ne rentrer que trois jours plus tard avec la certitude que nos traces s'effaçaient à mesure. Nous avancions en nous portant tour à tour au lieu de marcher ensemble en nous tenant la main. J'aurais dû sortir de moi pour entrer un peu mieux en toi au lieu d'user ma voix et de mes bras pour te retenir. Je vois des bracelets serrés et des draps lourds. Un loup écarté sur une colline, des hiboux échevelés dans la lumière embrouillée d'une lune de juillet. Une faille. Un éboulis. La panique. Des pas affolés sur des pierres fragilisées par l'écume des grandes marées, des perditions sur des chemins de fer rouillés, des haltes et des rebours, que des fuites. L'impression de ne pas s'appartenir et de flotter sur les vents contraires jusqu'à se déposer enfin à l'endroit exact où il faut être pour reprendre son souffle. Quand on s'est finalement regardés dans les yeux, toi et moi, au bout de la course... c'est peut-être ce que nous avons tout à coup appris.

Toi à parler, moi à me taire.

mardi 10 mai 2011

Les cicatrices sont des poussins.

La côte est une femme plantureuse tout en courbes et en falaises luisantes des cascades d'eau qui glissent sur sa peau. Elle en parcourt les routes les fenêtres ouvertes pour capturer le souffle marin qui nettoie l'âme en piquant les joues. Il pleut. Les rivières débordent dans les congères en grandes rigoles sautillantes comme des troupeaux de moutons blancs affolés. Elle a baissé les bancs de sa voiture pour transporter ce qu'elle avait d'essentiel. Elle pourrait bien ne plus revenir. Tout ce qui reste chez elle est superflu: des tasses disparates, des draps aux couleurs passées, des meubles qu'elle avait amassé à gauche et à droite pour se donner l'impression d'avoir un chez soi. Elle a laissé ses trousses à crayons, ses lanternes chinoises, sa collection de sable blond, noir et roux, la coutellerie de sa grand-mère, des cassettes enregistrées quand elle était adolescente, les outils dont elle ne s'est jamais servis, les phrases jetées sur des napperons de restaurants, sur des signets ou des serviettes en papier déchirées. Elle a aussi laissé ses diplômes, tous ses albums photos, les vieilles diapositives de son enfance, les jeux auxquels il manque des pions, une centaine de National Geographic et des dizaines de boîtes de livres. Elle a seulement entassé dans de grands bacs en plastique quelques vêtements, son ordinateur portable et ses bottes de pluie.

Elle ne fuit pas elle s'évade, transportée par la voix muette de ses fantômes et par les cicatrices qu'elle cache à l'intérieur d'elle. Elle s'évapore pour aller caresser les striures blanches qu'elle porte sur son coeur, dans son ventre et sa tête. Ses cicatrices sont des poussins fragiles dont les plumes encore collées doivent sécher avant de se transformer.

Son cellulaire vient de rendre l'âme. Personne ne sait où elle est ni où elle va. Elle veut qu'on la recherche mais pas qu'on la trouve. Elle court vers un espace qui ne serait qu'à elle, loin des lieux qu'elle a toujours fréquentés, à l'abri des regards qui quêtent une image à laquelle elle ne veut plus répondre. Elle a noué un fichu thibétain sur ses boucles. Elle ne s'est pas maquillée, a enfilé le vieux pull marin de son père, celui qui sent l'humidité et les embruns, a chaussé ses vieux espadrilles et mis les jeans qu'elle réservait aux travaux et à la peinture. Elle a coupé ses ongles, oublié de se faire les sourcils, ne s'est pas rasé les jambes ni les aisselles. Sous ses vêtements, un vieux slip rayé bleu et blanc et un soutien gorge sans dentelle. Elle fait la grève des artifices. Le soleil dessine ses courbes lumineuses derrière la fumée des nuages. Elle vient de perdre le poste de radio qu'elle écoutait. Une marmotte traverse la route devant elle. Ce soir elle sera loin.