samedi 27 décembre 2008

Alias Jésus

C'était il y a longtemps, quelque part en France, dans un de ces anciens trains qui relient les villages entre eux en faisant des arrêts fréquents dans les gares aux noms improbables. Je devais passer la journée en déplacement après avoir quitté un ami. J'aurais voulu que cet ami me dise de rester. J'avais le coeur gros en prenant place sur la première banquette, près de la vitre, mon sac posé sur le siège à côté de moi. Je n'avais pas envie d'être envahie par un voyageur bavard, ma seule idée étant de laisser la tristesse me quitter en regardant défiler les campagnes, mon walk man sur les oreille, le front collé à la vitre. Le train venait de quitter la gare lorsque j'ai entendu cogner à la porte vitrée qui donne sur le portique séparant les wagons. Je me suis retournée pour voir qui frappait.

C'était un grand énergumène roux qui gesticulait en riant de tous ses chicots noircis. Il portait une barbe pelée, un chapeau de feutre mou orné d'une plume rouge et de dizaines de pins, un imperméable aux épaules tombantes, les coudes rapiécés, un mince foulard noué de travers autour du cou. Il me faisait signe de le rejoindre. Il avait l'air de ne pas avoir toute sa tête, aussi je me suis vite retournée pour replonger dans mes pensées, les genoux appuyés sur dossier du banc devant moi. Il a cogné à nouveau avec insistance. J'ai pivoté vers lui avec mon regard des mauvais jours dans l'intention de lui dire de me laisser tranquille. Il levait vers moi une coupe de vin au pied cassé et tenait dans l'autre main une bouteille de pinard entamée. Il souriait toujours et il me criait de le rejoindre. Son sac était posé à ses pieds et il chancelait d'ivresse autant qu'à la force des oscillations du train qui avait pris son allure. J'ai hésité une seconde. Sa bouille ne me disait rien qui vaille mais comme j'étais jeune et folle, que j'étais triste et que je m'efforçais de ne passer à côté de rien, j'ai pris mon sac et j'ai traversé la porte vitrée.

-Salut la voyageuse, tu veux du pinard?
Et sans attendre ma réponse, il a sorti une autre coupe de sa poche.
- Je sais quand même recevoir les dames! Je ne te donnerai pas la coupe cassée. Allez, bois, ça te fera du bien.

Nous nous sommes assis par terre dans le hall. Les passagers qui voulaient aller aux toilettes devaient contourner ses longues jambes étendues devant lui. Il portait un pantalon brun très élimé et des godasses en cuir aux semelles écorchées. Ses lacets étaient cassés. Il ne cessait d'interpeller tout le monde d'une voix gaie en levant sa main aux doigts jaunis par le tabac à rouler. Il sentait l'humidité et la sueur. Ses cheveux mi-longs s'échappaient de son chapeau en mèches graisseuses. Le vin était bon. Il me resservait dès que ma coupe était à moitié vide, et il ne cessait de parler en me fixant de ses yeux pairs. Ses joues rosissaient et il s'approchait souvent de mon visage en me confiant sa vie d'une voix forte pour couvrir le bruit des rails. Il disait s'appeler Jésus.

Il portait un chapelet autour du cou et ses poches étaient pleines de médailles de la Vierge et des Saints. Il parcourait la France depuis tant d'années qu'il en avait perdu le compte. Il s'affiliait parfois aux groupes de SDF qui dorment entassés sous les ponts ou dans les ruelles. Souvent, il s'abritait dans les granges ou dans les monastères qui voulaient bien l'accueillir. Il ne m'a pas dit de quoi il vivait, il m'a seulement dévoilé que tout ce qu'il possédait était entassé dans son sac marin. Il m'a demandé pourquoi j'étais partie de chez moi. Il disait que même avec mes tresses et mes pantalons kakis, je ressemblais à une gosse de riche. Il ne comprenait pas ce que j'étais venue chercher en voyage, pourquoi j'étais partie toute seule ni ce que je voulais me prouver.

- Tu as l'air triste, mignonne. Et en plus, tu ressembles à une tortue avec ton sac. On dirait que ta carapace est trop grande pour toi.

Il avait bien raison. À ce moment là, ma carapace était trop grande. Et trop lourde. Je cherchais à me sortir de ma vie pour mieux y revenir, débarrassée de ces cailloux que j'avais l'impression d'avoir accumulé sur mon parcours. J'étais partie pour faire le ménage et quitter ma zone de confort. Je cherchais quels étaient mes essentiels et de quoi j'étais faite. Lorsque je lui ai raconté ça, il a rigolé:

- Tu viens de foutre dans la misère par exprès alors que moi, je donnerais tout pour m'en sortir, de cette vie de merde. Faut croire qu'on n'est jamais content!
Regarde toi. Tu es assise là à boire à 10h du mat' dans le hall d'un wagon. Tu vois comment les gens te regardent? Ils te regardent de la même façon que moi; avec un air dégoûté, et même parfois de la peur. Et ça, c'est quand ils ne nous ignorent pas carrément. Tu te sens comment en ce moment? Tu es bien? Tu es heureuse? Tu te sens à ta place?

La vérité, c'est que j'avais remarqué. Les regards dédaigneux, les détours qu'ils prenaient pour ne pas trop s'approcher, l'indifférence, parfois même la colère. Je prenais l'attitude des gens comme une expérience, mais cela m'atteignait quand même. Je me disais que "Jésus" vivait ce rejet tous les jours et que ça me ferait sûrement du bien de le ressentir un peu. Je voulais vivre cette curieuse rencontre jusqu'au bout, alors je suis restée avec lui toute la journée. Nous avons changé de train trois fois. Nous en étions à notre deuxième bouteille à midi, et Jésus chantait à pleine voix dans les gares. Les autres paumés venaient lui quémander des clopes qu'il roulait volontiers en papotant. Son haleine empestait la vinasse mais il riait tellement que je ne pouvais m'empêcher de rigoler de ses bêtises. Les femmes passaient loin de nous et j'ai surpris maintes fois leurs oeillades remplies de pitié. Le chef de gare est même venu nous avertir de nous calmer.

À la fin de l'après-midi, alors que nous approchions de notre destination, je lui ai demandé son vrai prénom. Il m'a demandé le mien. Puis il a ouvert ma paume, a pris deux de ses pins sur son chapeau et une médaille religieuse dans sa poche. Il m'a dit:

- Ça, ma puce, c'est en souvenirs de moi. Je veux que tu te rappelles de Jésus et de la journée qu'on a passé ensemble. La médaille, c'est pour te protéger. Tu as eu du bol de tomber sur moi, mais fais gaffe. Ce n'est pas tout le monde qui te voudra du bien. J'ai eu de la veine moi aussi de te rencontrer. Je ne t'oublierai pas. Mais si tu veux un conseil, allège vite ton sac et rentre chez toi.

J'ai accroché les pins sur mon bonnet et j'ai enfoui la médaille dans ma poche. Il m'a aidé à descendre du train, puis il m'a pris les épaules et a posé deux bises sonores sur mes joues. Sa barbe était mousseuse. Il a serré brièvement mon bras et il est parti en chancelant sur le quai. Je l'ai regardé jusqu'à ce qu'il traverse les portes, puis j'ai soupiré de soulagement. J'avais passé une drôle de journée. Il fallait que je mange et que je prenne une douche. Depuis qu'il était parti, les gens ne me regardaient plus de la même façon. J'étais redevenue moi-même, sans l'aura de misère qui s'évadait de lui pour nous entourer. J'étais triste de le constater. Je ne l'ai jamais oublié. Chaque fois que mon sac est trop lourd, je pense à lui. J'espère qu'il est toujours en vie, et qu'il s'est trouvé un endroit où vivre.

Son vrai nom était Jean-Claude.

lundi 22 décembre 2008

Au Cap 16: La tempête

Je suis allée au Cap toute seule avec mon ami B*, sa douce étant retenue par le travail et les enfants en week-end aux quatre vents. Quand nous sommes entrés, il faisait -1 dans la maison. Par conséquent, les tuyaux étaient gelés. Nous avons fait fondre des grandes chaudrées de neige pour dégeler les robinets, en croisant les doigts pour que la tuyauterie tienne le coup et qu'elle ne soit pas condamnée à exploser en créant une inondation dans la cave. Ou pire. Qu'il n'y ait pas d'eau du tout pour les ablutions de la visite attendue au jour de l'an. La truie a mis plus de 4h à réchauffer un tant soit peu les chambres et les roches-de-lits. Nous avons mangé nos homards avec des mitaines, la musique de Pacifica en trame de fond, nos tuques sur la tête et deux bouteilles de vin qu'on a bues les pieds sur la porte du four ouverte.

Notre mission de la fin de semaine était de boucher les trous, sabler et mettre la couche d'apprêt sur les murs de la salle de bain nouvellement refaite. Après une dure journée de labeur, le corps blanc et jaune de poussière de peinture, les cheveux sales, la peau maculée de potée et de sueur, j'ai voulu me laver dans la nouvelle douche; pas d'eau chaude. ARGH! COMMENT ÇA, STIE??? Descend à la cave voir les fusibles du chauffe-eau. Monte ouvrir les robinets du haut. Fait couler le robinet de la cuisine. L'eau chaude coulait partout sauf dans la salle de bain où je venais de travailler de longues heures. S'il faut ouvrir les murs, je vous promets que je hurle. Mais bon. Paraît que les maisons de campagne sont pleines de surprises et qu'il faut les aimer, en faire notre pain quotidien et les encaisser sans broncher. Comme se plaît à dire mon ami B*: on apprend à connaître notre maison. Il n'a pas tort.

Samedi, nous avons été avisés de la tempête à venir par la douce, inquiète de nous savoir sur la route du retour. B* et moi n'avons échangé qu'un seul coup d'oeil pour déterminer de concert que nous serions (volontairement) pris dans la tempête, au Cap. La maison avait atteint la température respectable de 25 degrés (la truie était en feu!), nous étions allés au ravitaillement (après avoir boosté la Corolla qui s'était étouffée dans le banc de neige), les steaks marinaient, un gratin dauphinois cuisait lentement sur le poêle et nos gin tonics se laissaient boire tous seuls. C'est donc sur des airs du sud que nous avons attendu les premiers grains de la tempête. Après le souper, il nous a bien fallu constater que le tempête rageait partout ailleurs, sauf chez nous; les montagnes aux coyotes nous protégeaient du vent qui venait de l'ouest. On aurait dit qu'une géante passait la neige au tamis. Il n'y avait que de fins tourbillons de poudreuse, quelques rideaux de flocons plus compacts qui s'étalaient paresseusement sur la route, un silence piquant la nuque, et la lueur des réverbères appelant nos pas sur la route recouverte de sucre.

J'ai dormi 3 nuits le ventre collé sur la grosse roche ronde, sous la couette de plume offerte par la mamie. Je suis allée voir ma rivière, la grève où grondaient les glaces compactes charriées par la marée, j'ai cuisiné de bons petits plats pour mon ami et j'ai travaillé fort. La lumière dont j'avais besoin était là. La tristesse d'avant Noël a été emportée par le Cap.




dimanche 14 décembre 2008

Minuit




Enfin je l'ai capturée, la lune pleine, à travers la vitre de ma fenêtre pentue. Elle m'a gardée hors du lit, frissonnante les épaules nues, j'ai pris un bain dans le halo. Les yeux mi-clos comme dans une mousse qui sent la résine fraîche, debout dans la lumière, les pieds perchés sur un tabouret. Pour être plus près.

mardi 9 décembre 2008

Miroir 1





Pour la rigolade, un jeu de miroir avec notre Mac et sa Gatchu.

lundi 8 décembre 2008

Sans titre

La nuit dernière, il s'est passé quelque chose de très étrange. Il ventait si fort que les craquements du toit et le bruit des objets qui se déplaçaient sur mon balcon m'ont réveillée plusieurs fois. J'entendais distinctement le sifflement de l'air passer dans l'interstice (gros comme mon petit doigt) des vieilles fenêtres à carreaux de ma chambre. Je me suis dit qu'il était grand temps que je calfeutre tout ça. Juste avant mon deuxième éveil, je rêvais que j'écrivais. Un roman pour ados. Et j'écrivais réellement dans ma tête, même éveillée, les phrases naissaient du trouble de ma nuit, de la noirceur, du creux de mon oreiller. J'écrivais et je me disais qu'il fallait que je me lève pour noter les phrases qui venaient enfin, au moins un mot, une idée, un lien, au moins la trame, je me disais qu'il fallait que je soulève la couette et que je pose mes pieds sur le plancher froid. Je n'aurais même pas eu à allumer la lumière, juste à prendre le carnet sur le bout de mon long bureau et ce stylo posé à côté. Mais je ne l'ai pas fait à cause de la peur et de la solitude, à cause du vent qui me donnait l'impression de toucher l'essentiel et de la crainte de rompre le charme, de couper le fil. La certitude que j'allais me souvenir au réveil m'a fait me retourner et coincer ma tête sous le drap rouge.

J'ai cherché l'idée sous la douche, statique sous l'eau brûlante. Puis dans mon café en tournant une mèche d'un air absent. En marchant jusqu'au bureau de vote dans l'air glacial, puis entre chaque chapitre du roman que j'ai dévoré ce soir, quand trop ivre des mots je levais les yeux sur la ville cristallisée. Rien à faire, je ne la retrouve pas. Mon idée. Elle est partie avec le vent.

J'aurais donc dû me lever. Je me sens dépossédée d'un songe qui aurait pu être une clé.

mardi 2 décembre 2008

dimanche 30 novembre 2008

Au Cap 15: Promenade dominicale (dans la croustillance)

J'ai testé mes nouvelles bottes lunaires (achetées au rayon enfant, c'est un avantage inhérent) sur la nouvelle neige collante du Cap. D'abord avec la Pomponne pour faire naître le premier bonhomme de neige bancal (qu'elle a voulu appeler Akon). Nous l'avons coiffé du vieux feutre noir de Roland. Galets pour les yeux et la bouche, crayon de bois pour le nez, poivron rouge taillé en coeur pour faire beau. Foulard rayé bleu et blanc autour de son gros cou, branches maigres pour les bras, que nous avons judicieusement orientés vers le ciel. Il se dresse en bordure de la route près du champ de fleurs sauvages et il semble sautiller en disant: "COUCOU!" d'un air ahuri.



Puis je les ai chaussées à nouveau après le souper pour suivre la smala à la chasse au tremble de Noël sous un ciel plombé de millions d'étoiles. Couchées dans la clairière, nous cherchions les cerfs-volants, les ourses, les satellites et les regards de nos parents disparus. Pendant ce temps, l'ado maniait la hache en ahanant sous l'oeil avisé de son père. Nous avons ramené notre arbre à la maison en le tenant tous les 5 à bout de bras, puis nous sommes allés sur la grève à la recherche de grosses roches rondes à faire chauffer sur la truie pour les glisser entre les draps. Les pieds sur la pierre brûlante, on s'endort très vite, alangui par la tiédeur qui s'étend comme le corps très chaud d'un amant.

C'est dimanche après-midi que je me suis enfoncée toute seule dans la forêt pour longer ma rivière et chercher les traces des coyotes et des chevreuils. J'ai plutôt suivi celles du gros renard roux qui est apparu samedi, à l'aube. En rentrant de ma balade, je me suis assise sur la véranda pour fumer une cigarette en regardant tranquillement le fleuve. L'Ermite est passé en voiture devant la maison. Il a klaxonné et m'a fait un salut de la main.






vendredi 28 novembre 2008

Au Cap 14: D'un ermite







Je ne sais pas pourquoi ces bosquets dans le couchant me font penser à lui. Peut-être parce que sa solitude ressemble aux ciels de fin de journée, quand la lumière mélancolique découpe les arbres dans l'ombre. Son visage est celui de l'automne tardif lorsque le piquant de l'air laisse présager de la première neige. Impossible de dire son âge; il pourrait avoir 60 ans autant que 80. On ignore encore les effets du vent salin sur la peau d'un homme ayant vécu au Cap toute sa vie, les traces laissées par une vie ascétique et les ravages inévitables d'un cancer qui le ronge depuis un moment.

À l'instar de notre Roland, l'Ermite a choisi de s'ancrer à la nature et aux bêtes davantage qu'aux Hommes. Il parcourt ses 32 arpents de terre d'un long pas, le dos légèrement voûté sous sa Canadienne. Il n'est plus que l'ombre de lui même, si maigre qu'on dirait un épi desséché qu'on arriverait à broyer dans le poing. Son épaisse tignasse rappelle les cheveux d'Elvis, sculptés en vagues sombres sur les tempes et le front. Ses traits sont encore bien découpés sous la peau burinée; on peut imaginer quel jeune homme séduisant il a dû être à l'époque où nous n'étions encore que des enfants. Maintenant, son sourire est édenté, son élocution hasardeuse et ses yeux enfouis. Ou enfuis, sous des sourcils épais comme des taillis de garenne.

De la grande baie du salon je regarde parfois les maisons voisines plongées dans la pénombre depuis que leurs habitants ont déserté pour l'hiver. On ne voit que l'unique lumière de sa maison-roulotte briller dans le champ de droite. Cette petite lueur tremblotante me plonge dans une sorte tristesse pour l'univers qu'il habite, que j'imagine désolé et exempt de tout ce qui fait la richesse d'une vie. Je ne sais pas quels sont ses plaisirs ni ce qu'il peut bien avoir à se raconter en lui-même. Se contenter de si peu est bien loin de mes idéaux, aussi je n'arrive pas à comprendre ce qui fait qu'on se replie sur soi avec pour seule compagnie une meute de chats. Le pire, c'est que des 42 félins qui partageaient son toit, seuls 7 d'entre eux ont survécu à l'appétit des coyotes.

Il l'a raconté de vive voix à mes amis M* et B*, qui ont poussé la ballade jusqu'à sa porte en fin de semaine dernière. Ils ont bien senti que c'est un dur coup du sort pour lui. Ils lui ont tendu la main, bien sûr, ne serait-ce que pour qu'il sache qu'il ne sera pas seul au Cap quand la neige aura tout enseveli. Mais il est si peu habitué à la commisération et à la gentillesse que le malaise s'est insinué entre eux en bafouillant. Nous sommes inquiets de le savoir malade dans un endroit si isolé, et curieux d'entendre ce qu'il pourrait nous raconter sur l'histoire du domaine. J'espère que nous saurons comment l'approcher à nouveau.

lundi 24 novembre 2008

Au Cap 13: D'une rivière, encore...

Elle a bien préparé son coup, la p'tite. Elle a profité de notre absence pour se vernir et s'encolleter de frisons givrés. Brillant. On ne voyait qu'elle à travers les arbres morts. Elle et ses foulards de plumes blanches, ses bonnets ronds et ses colliers transparents, déposés sur les berges étrécies. Après 5 semaines loin d'elle, je l'ai retrouvée en frissonnant de grippe autant que de froid. Mes semelles craquaient sur les galets glacés du sentier pendant que soufflait dans mon cou le vent fou des montagnes. Aller la voir est la seule concession que j'ai faite à mon désir de rester calfeutrée près de la truie, les pieds au chaud dans mes gros bas de laine. J'allais au Cap pour ne rien faire, sinon dormir et lire. Et retrouver mes amis M* et B*, dont le babillage décousu (mais fort divertissant) et les bras indispensables me manquaient. Je suis allée les chercher en gambadant pour qu'ils viennent voir la procession de fantômes qui sortaient du petit rebond sous le gros tronc.








Les coyotes se sont tus. Pas de trace des chevreuils, non plus, ni du tamia Lonely qui est en colère depuis qu'on a bouché le trou qui lui servait à la fois de réserve et de maisonnette, dans le recoin sous la galerie. En descendant le Cap, on constate que presque toutes les maisons sont fermées pour l'hiver, leurs fenêtres murées derrière de grandes planches. Il n'y a plus de fumée dans les cheminées voisines, plus de passants (ou si peu), plus de quatre-roues ni de voisins pour venir tailler une bavette sur les marches de la véranda. Le Cap se prépare à dormir. Il n'y aura plus que nous. Nous et l'Ermite, qui vit plus bas, à 5 minutes de marche dans le champ de droite. Mais je ne vous parle pas de lui maintenant. Il mérite que je prenne mon temps.

samedi 22 novembre 2008

Trouver le courage?

Hier, j'ai trouvé un énorme chat noir mort dans ma cour. Il était couché sur le côté près de mes bacs à fleurs vides, les pattes de devant jointes devant lui, les dents d'en bas sorties sur la lèvre d'en haut, ses yeux jaunes ouverts et révulsés. En le voyant inanimé, je me suis approchée sur la pointe des pieds tout en guettant sa respiration. Son ventre ne se soulevait pas. Je suis restée figée à quelques mètres de lui. Je me demandais quoi faire, je tournais en rond sur les dalles de l'allée en le regardant pour apprivoiser son image d'animal empaillé. Je cherchais le courage de le toucher, j'avais le poil droit sur les bras et des frissons dans le dos. Ça me semblait au-dessus de mes forces. Je n'ai pas pu le jeter.

Aujourd'hui, après avoir vainement cherché un homme pour m'aider, j'ai dû me résoudre à aller le mettre dans un sac vert. Il avait plu dessus toute la nuit et toute la journée. Les gouttes perlaient sur son poil comme s'il était en cire. La rigidité cadavérique s'était installée. Franchement horrible. Ses yeux jaunes me regardaient sans me voir et sa tête était très pesante. Il m'a fallu au moins 10 minutes pour parvenir à le toucher, et presque autant pour le mettre dans le sac et fermer le noeud. En allant le porter sur le bord de la rue, je pleurais. J'ai encore le coeur dans la flotte. Moi qui voulait travailler dans l'humanitaire un jour. C'est mort. J'ai pas la trempe.

jeudi 13 novembre 2008

Portrait 6

Simone est une adolescente particulière. Elle ne fait pas partie de ma famille et je ne révélerai ni où, ni comment je l'ai rencontrée. Il suffit de dire qu'elle est dans ma vie depuis qu'elle a 9 ans. Elle a toujours été une enfant assez silencieuse, mais à 13 ans, elle se mure encore davantage, comme si le monde était assez bruyant qu'elle ne veuille pas y rajouter sa voix. Elle marche sur la plante des pieds, les bras quasi immobiles le long de son corps frêle, la tête à demie baissée. Elle regarde donc très souvent le monde par en-dessous,comme si l'affronter de face était au-delà de ses forces. Elle est petite et frêle pour son âge, ses seins minuscules dissimulés sous un tee-shirt trop large ou un gilet à capuchon noir. Son visage est encore celui d'une enfant; elle a un teint pâle et uni que j'envie chaque fois que je l'embrasse, mes lèvres effleurant l'ossature de ses joues si douces. À son âge, j'étais couverte de boutons qui me désespéraient et je n'ai de cesse de lui rappeler sa chance. Ses cheveux châtains sont très fins et une longue frange dissimule son oeil gauche. Quand elle parvient à s'animer un peu en me parlant, elle donne des coups de tête pour libérer son visage, si elle ne repousse pas la mèche derrière son oreille d'un geste répétitif et brusque qui m'agace un peu.
Elle porte des lunettes qui ne lui conviennent pas. Elles lui donnent un air austère et décalé. Elle ne les aime pas, d'ailleurs. Elle les enlève souvent pour se masser l'arête du nez. Elles doivent être trop lourdes.

Elle me rend parfois visite au retour de l'école. Elle se juche alors sur un tabouret devant le comptoir de la cuisine, les pieds sur les barreaux ou un genou relevé sur lequel elle croise les mains. Elle aime bien que je lui parle de mes journées sur la route, des fins de semaine au Cap ou des enfants qui gravitent dans ma vie. Elle réagit à mes blagues avec un sourire pâle; je ne l'ai jamais entendue rire franchement malgré tous les efforts que je déploie pour qu'elle éclate d'un rire qui lui secouerait les épaules et la ferait se taper les cuisses. Elle contrôle tellement ses émotions que cela m'inquiète. Tout en elle est amorti, calculé, réfléchi et posé.

C'est pourquoi les confidences qu'elle me fait revêtent une importance particulière. Je suis parfois déboussolée par la façon dont elle envisage la vie et la rapidité avec laquelle elle juge les gens. Elle ne fait pas beaucoup de compromis. Elle est même souvent très dure, surtout envers ses parents, évidemment, mais ce qui m'étonne c'est son incapacité à partager les activités des jeunes de son âge. Elle a une maturité étonnante qui lui fait sans cesse rechercher la compagnie des adultes, ou l'isolement dans un monde auquel personne (à ma connaissance) n'a accès. Elle réussi bien à l'école, lit énormément et noircit des carnets qu'elle cache ensuite Dieu sait où. Elle en a toujours un dans son sac. Elle va aussi très souvent se réfugier dans les églises.

Cet aveu m'a pris par surprise. Je ne connais pas beaucoup de gens qui vont encore à l'église, encore moins les jeunes. Elle m'a confié s'y rendre non pas parce qu'elle est particulièrement croyante, mais parce qu'elle n'a aucun endroit où être véritablement seule, chez elle. Elle aime l'odeur de l'encens, le silence, le bruit de ses pas dans l'allée, le claquement des prie-dieu quand elle les fait basculer sur le sol, et la lueur des cierges qu'elle allume à la chaîne sans payer. Elle m'a même révélé sans me regarder qu'elle aime se placer à l'avant de l'autel quand il n'y a personne, et qu'à cet endroit, elle ose chanter. Elle n'a pas voulu me dire quoi. Je n'ai pas insisté.

J'ai été très émue qu'elle m'ouvre cette porte sur son intimité. Je lui ai resservi un verre de jus en lui racontant les endroits où j'allais pour m'éloigner de la maison quand j'avais son âge. Je n'étais pas si différente d'elle. Heureusement, les temps changent. Il me tarde de la voir s'épanouir. Tout peut encore lui arriver.

mardi 11 novembre 2008

Attitudes de lecteurs (Salon de Rimouski)

Je ne sais pas pourquoi elles sont toutes un peu floues. C'est peut-être à cause de mes lunettes mal ajustées, ou à cause de ce qui se passait dans l'air. J'ai tout de même décidé de les mettre en ligne parce qu'elles reflètent ce que j'aime le plus. Je me suis évertuée à croquer des scènes qui me touchaient. J'adore observer les gens qui lisent. Ils ont dans l'attitude un relâchement émouvant. À mieux les regarder, j'ai même capté plusieurs scènes d'amour. Munie de mon appareil photo, j'ai passé toutes les heures le regard braqué sur les visages. J'en ai oublié la douleur au dos et aux pieds, et les jours ont passé trop vite. Vivement le salon de Montréal...













lundi 10 novembre 2008

Chambre 5027

Élire domicile dans une chambre avec vue. Avec toi. Ailleurs, sur le bord d'un grand Fleuve baisé par le soleil plongeant, étirer les rayons jusque sous les draps. Être ravie par la pluie qui me cloisonne dans ton cou, à l'abri des gouttes charriées en biseau, devenir une réfugiée dans tes bras.

Les typhons qui s'abattent entre nos murs chassent tous mes fantômes. Ils ne résistent pas à la teneur des mots que tu inventes pour les rompre. Ils s'évanouissent en faisant des bruits de pierres tombées, ils s'évadent et se dispersent par toutes les trappes ouvertes du plafond. Ils partent, un à un, écrasés par ton corps qui comble l'espace entre eux et moi. Je te laisse les combattre et me vaincre pour me porter à bout de bras hors d'eux, hors de moi.

Tes regards (présents) sont plus forts que mes colères (anciennes). Quand tu es parti, j'ai eu envie d'aller les jeter au large mais je ne l'ai pas fait. Je les ai tout simplement abandonnées là, entre mes mégots de cigarettes et mon mauvais café froid. Avant de quitter l'hôtel à mon tour, j'ai réalisé que c'était le lieu de ma reddition. Dans la chambre 5027, j'ai retrouvé une partie de moi.

mardi 4 novembre 2008

L'Esprit du Chemin 2

Partir, tout laisser derrière soi, le confort de son foyer et les êtres aimés. Ne prendre que l'essentiel sans trop lésiner, quelques vêtements, un duvet, un chandail et un imper au cas où.



Se limiter, restreindre, peser le tout, enlever, car moins le bagage sera lourd, plus le pas sera léger, plus tu feras l'expérience du peu de choses dont tu as besoin pour vivre.



Partir, prendre la route comme l'ont fait tous les pèlerins depuis des milliers d'années; réaliser que c'est le Chemin qui te fait pèlerin à mesure que tu découvres sa réalité, que tu te laisses imprégner par son esprit.



Marcher, un pas à la fois, marcher à la découverte de soi, à la rencontre de L'Autre. Si tu te laisses interpeller, sur le chemin tu deviens frère et sœur prêt à partager le peu que tu portes avec toi; tu es la main qui soigne, l' épaule qui console, le cœur qui entend ce qui ne se dirait pas ailleurs…



Marcher, s'ouvrir au monde, découvrir des lieux et des visages inconnus, entendre le silence et le bruit du vent, écouter sa douce musique. Se laisser imprégner par les beautés de la nature, se sentir si petit devant toutes ces merveilles.







Partir en toute confiance, sans savoir où on va coucher ni ce qu'on va manger, se sentir libre et en harmonie avec ce qui nous entoure.













Marcher, prendre son temps, apprendre à reposer ses pieds fatigués, à les dorloter, à se désaltérer, à ménager sa monture pour qu'elle nous conduise en sécurité au bout du Chemin, au bout du rêve.



Et lorsque la fatigue survient, marcher au rythme des bâtons et s'y accrocher…



Marcher avec cette idée de n'avoir en tête que le moment présent, sans aucun projet autre que celui d'avancer.





Marcher avec l'esprit et le cœur ouverts, prêts à accueillir et à partager des moments uniques et précieux, cadeaux du Chemin.






Photos et texte: M'man