samedi 27 décembre 2008

Alias Jésus

C'était il y a longtemps, quelque part en France, dans un de ces anciens trains qui relient les villages entre eux en faisant des arrêts fréquents dans les gares aux noms improbables. Je devais passer la journée en déplacement après avoir quitté un ami. J'aurais voulu que cet ami me dise de rester. J'avais le coeur gros en prenant place sur la première banquette, près de la vitre, mon sac posé sur le siège à côté de moi. Je n'avais pas envie d'être envahie par un voyageur bavard, ma seule idée étant de laisser la tristesse me quitter en regardant défiler les campagnes, mon walk man sur les oreille, le front collé à la vitre. Le train venait de quitter la gare lorsque j'ai entendu cogner à la porte vitrée qui donne sur le portique séparant les wagons. Je me suis retournée pour voir qui frappait.

C'était un grand énergumène roux qui gesticulait en riant de tous ses chicots noircis. Il portait une barbe pelée, un chapeau de feutre mou orné d'une plume rouge et de dizaines de pins, un imperméable aux épaules tombantes, les coudes rapiécés, un mince foulard noué de travers autour du cou. Il me faisait signe de le rejoindre. Il avait l'air de ne pas avoir toute sa tête, aussi je me suis vite retournée pour replonger dans mes pensées, les genoux appuyés sur dossier du banc devant moi. Il a cogné à nouveau avec insistance. J'ai pivoté vers lui avec mon regard des mauvais jours dans l'intention de lui dire de me laisser tranquille. Il levait vers moi une coupe de vin au pied cassé et tenait dans l'autre main une bouteille de pinard entamée. Il souriait toujours et il me criait de le rejoindre. Son sac était posé à ses pieds et il chancelait d'ivresse autant qu'à la force des oscillations du train qui avait pris son allure. J'ai hésité une seconde. Sa bouille ne me disait rien qui vaille mais comme j'étais jeune et folle, que j'étais triste et que je m'efforçais de ne passer à côté de rien, j'ai pris mon sac et j'ai traversé la porte vitrée.

-Salut la voyageuse, tu veux du pinard?
Et sans attendre ma réponse, il a sorti une autre coupe de sa poche.
- Je sais quand même recevoir les dames! Je ne te donnerai pas la coupe cassée. Allez, bois, ça te fera du bien.

Nous nous sommes assis par terre dans le hall. Les passagers qui voulaient aller aux toilettes devaient contourner ses longues jambes étendues devant lui. Il portait un pantalon brun très élimé et des godasses en cuir aux semelles écorchées. Ses lacets étaient cassés. Il ne cessait d'interpeller tout le monde d'une voix gaie en levant sa main aux doigts jaunis par le tabac à rouler. Il sentait l'humidité et la sueur. Ses cheveux mi-longs s'échappaient de son chapeau en mèches graisseuses. Le vin était bon. Il me resservait dès que ma coupe était à moitié vide, et il ne cessait de parler en me fixant de ses yeux pairs. Ses joues rosissaient et il s'approchait souvent de mon visage en me confiant sa vie d'une voix forte pour couvrir le bruit des rails. Il disait s'appeler Jésus.

Il portait un chapelet autour du cou et ses poches étaient pleines de médailles de la Vierge et des Saints. Il parcourait la France depuis tant d'années qu'il en avait perdu le compte. Il s'affiliait parfois aux groupes de SDF qui dorment entassés sous les ponts ou dans les ruelles. Souvent, il s'abritait dans les granges ou dans les monastères qui voulaient bien l'accueillir. Il ne m'a pas dit de quoi il vivait, il m'a seulement dévoilé que tout ce qu'il possédait était entassé dans son sac marin. Il m'a demandé pourquoi j'étais partie de chez moi. Il disait que même avec mes tresses et mes pantalons kakis, je ressemblais à une gosse de riche. Il ne comprenait pas ce que j'étais venue chercher en voyage, pourquoi j'étais partie toute seule ni ce que je voulais me prouver.

- Tu as l'air triste, mignonne. Et en plus, tu ressembles à une tortue avec ton sac. On dirait que ta carapace est trop grande pour toi.

Il avait bien raison. À ce moment là, ma carapace était trop grande. Et trop lourde. Je cherchais à me sortir de ma vie pour mieux y revenir, débarrassée de ces cailloux que j'avais l'impression d'avoir accumulé sur mon parcours. J'étais partie pour faire le ménage et quitter ma zone de confort. Je cherchais quels étaient mes essentiels et de quoi j'étais faite. Lorsque je lui ai raconté ça, il a rigolé:

- Tu viens de foutre dans la misère par exprès alors que moi, je donnerais tout pour m'en sortir, de cette vie de merde. Faut croire qu'on n'est jamais content!
Regarde toi. Tu es assise là à boire à 10h du mat' dans le hall d'un wagon. Tu vois comment les gens te regardent? Ils te regardent de la même façon que moi; avec un air dégoûté, et même parfois de la peur. Et ça, c'est quand ils ne nous ignorent pas carrément. Tu te sens comment en ce moment? Tu es bien? Tu es heureuse? Tu te sens à ta place?

La vérité, c'est que j'avais remarqué. Les regards dédaigneux, les détours qu'ils prenaient pour ne pas trop s'approcher, l'indifférence, parfois même la colère. Je prenais l'attitude des gens comme une expérience, mais cela m'atteignait quand même. Je me disais que "Jésus" vivait ce rejet tous les jours et que ça me ferait sûrement du bien de le ressentir un peu. Je voulais vivre cette curieuse rencontre jusqu'au bout, alors je suis restée avec lui toute la journée. Nous avons changé de train trois fois. Nous en étions à notre deuxième bouteille à midi, et Jésus chantait à pleine voix dans les gares. Les autres paumés venaient lui quémander des clopes qu'il roulait volontiers en papotant. Son haleine empestait la vinasse mais il riait tellement que je ne pouvais m'empêcher de rigoler de ses bêtises. Les femmes passaient loin de nous et j'ai surpris maintes fois leurs oeillades remplies de pitié. Le chef de gare est même venu nous avertir de nous calmer.

À la fin de l'après-midi, alors que nous approchions de notre destination, je lui ai demandé son vrai prénom. Il m'a demandé le mien. Puis il a ouvert ma paume, a pris deux de ses pins sur son chapeau et une médaille religieuse dans sa poche. Il m'a dit:

- Ça, ma puce, c'est en souvenirs de moi. Je veux que tu te rappelles de Jésus et de la journée qu'on a passé ensemble. La médaille, c'est pour te protéger. Tu as eu du bol de tomber sur moi, mais fais gaffe. Ce n'est pas tout le monde qui te voudra du bien. J'ai eu de la veine moi aussi de te rencontrer. Je ne t'oublierai pas. Mais si tu veux un conseil, allège vite ton sac et rentre chez toi.

J'ai accroché les pins sur mon bonnet et j'ai enfoui la médaille dans ma poche. Il m'a aidé à descendre du train, puis il m'a pris les épaules et a posé deux bises sonores sur mes joues. Sa barbe était mousseuse. Il a serré brièvement mon bras et il est parti en chancelant sur le quai. Je l'ai regardé jusqu'à ce qu'il traverse les portes, puis j'ai soupiré de soulagement. J'avais passé une drôle de journée. Il fallait que je mange et que je prenne une douche. Depuis qu'il était parti, les gens ne me regardaient plus de la même façon. J'étais redevenue moi-même, sans l'aura de misère qui s'évadait de lui pour nous entourer. J'étais triste de le constater. Je ne l'ai jamais oublié. Chaque fois que mon sac est trop lourd, je pense à lui. J'espère qu'il est toujours en vie, et qu'il s'est trouvé un endroit où vivre.

Son vrai nom était Jean-Claude.

lundi 22 décembre 2008

Au Cap 16: La tempête

Je suis allée au Cap toute seule avec mon ami B*, sa douce étant retenue par le travail et les enfants en week-end aux quatre vents. Quand nous sommes entrés, il faisait -1 dans la maison. Par conséquent, les tuyaux étaient gelés. Nous avons fait fondre des grandes chaudrées de neige pour dégeler les robinets, en croisant les doigts pour que la tuyauterie tienne le coup et qu'elle ne soit pas condamnée à exploser en créant une inondation dans la cave. Ou pire. Qu'il n'y ait pas d'eau du tout pour les ablutions de la visite attendue au jour de l'an. La truie a mis plus de 4h à réchauffer un tant soit peu les chambres et les roches-de-lits. Nous avons mangé nos homards avec des mitaines, la musique de Pacifica en trame de fond, nos tuques sur la tête et deux bouteilles de vin qu'on a bues les pieds sur la porte du four ouverte.

Notre mission de la fin de semaine était de boucher les trous, sabler et mettre la couche d'apprêt sur les murs de la salle de bain nouvellement refaite. Après une dure journée de labeur, le corps blanc et jaune de poussière de peinture, les cheveux sales, la peau maculée de potée et de sueur, j'ai voulu me laver dans la nouvelle douche; pas d'eau chaude. ARGH! COMMENT ÇA, STIE??? Descend à la cave voir les fusibles du chauffe-eau. Monte ouvrir les robinets du haut. Fait couler le robinet de la cuisine. L'eau chaude coulait partout sauf dans la salle de bain où je venais de travailler de longues heures. S'il faut ouvrir les murs, je vous promets que je hurle. Mais bon. Paraît que les maisons de campagne sont pleines de surprises et qu'il faut les aimer, en faire notre pain quotidien et les encaisser sans broncher. Comme se plaît à dire mon ami B*: on apprend à connaître notre maison. Il n'a pas tort.

Samedi, nous avons été avisés de la tempête à venir par la douce, inquiète de nous savoir sur la route du retour. B* et moi n'avons échangé qu'un seul coup d'oeil pour déterminer de concert que nous serions (volontairement) pris dans la tempête, au Cap. La maison avait atteint la température respectable de 25 degrés (la truie était en feu!), nous étions allés au ravitaillement (après avoir boosté la Corolla qui s'était étouffée dans le banc de neige), les steaks marinaient, un gratin dauphinois cuisait lentement sur le poêle et nos gin tonics se laissaient boire tous seuls. C'est donc sur des airs du sud que nous avons attendu les premiers grains de la tempête. Après le souper, il nous a bien fallu constater que le tempête rageait partout ailleurs, sauf chez nous; les montagnes aux coyotes nous protégeaient du vent qui venait de l'ouest. On aurait dit qu'une géante passait la neige au tamis. Il n'y avait que de fins tourbillons de poudreuse, quelques rideaux de flocons plus compacts qui s'étalaient paresseusement sur la route, un silence piquant la nuque, et la lueur des réverbères appelant nos pas sur la route recouverte de sucre.

J'ai dormi 3 nuits le ventre collé sur la grosse roche ronde, sous la couette de plume offerte par la mamie. Je suis allée voir ma rivière, la grève où grondaient les glaces compactes charriées par la marée, j'ai cuisiné de bons petits plats pour mon ami et j'ai travaillé fort. La lumière dont j'avais besoin était là. La tristesse d'avant Noël a été emportée par le Cap.




dimanche 14 décembre 2008

Minuit




Enfin je l'ai capturée, la lune pleine, à travers la vitre de ma fenêtre pentue. Elle m'a gardée hors du lit, frissonnante les épaules nues, j'ai pris un bain dans le halo. Les yeux mi-clos comme dans une mousse qui sent la résine fraîche, debout dans la lumière, les pieds perchés sur un tabouret. Pour être plus près.

mardi 9 décembre 2008

Miroir 1





Pour la rigolade, un jeu de miroir avec notre Mac et sa Gatchu.

lundi 8 décembre 2008

Sans titre

La nuit dernière, il s'est passé quelque chose de très étrange. Il ventait si fort que les craquements du toit et le bruit des objets qui se déplaçaient sur mon balcon m'ont réveillée plusieurs fois. J'entendais distinctement le sifflement de l'air passer dans l'interstice (gros comme mon petit doigt) des vieilles fenêtres à carreaux de ma chambre. Je me suis dit qu'il était grand temps que je calfeutre tout ça. Juste avant mon deuxième éveil, je rêvais que j'écrivais. Un roman pour ados. Et j'écrivais réellement dans ma tête, même éveillée, les phrases naissaient du trouble de ma nuit, de la noirceur, du creux de mon oreiller. J'écrivais et je me disais qu'il fallait que je me lève pour noter les phrases qui venaient enfin, au moins un mot, une idée, un lien, au moins la trame, je me disais qu'il fallait que je soulève la couette et que je pose mes pieds sur le plancher froid. Je n'aurais même pas eu à allumer la lumière, juste à prendre le carnet sur le bout de mon long bureau et ce stylo posé à côté. Mais je ne l'ai pas fait à cause de la peur et de la solitude, à cause du vent qui me donnait l'impression de toucher l'essentiel et de la crainte de rompre le charme, de couper le fil. La certitude que j'allais me souvenir au réveil m'a fait me retourner et coincer ma tête sous le drap rouge.

J'ai cherché l'idée sous la douche, statique sous l'eau brûlante. Puis dans mon café en tournant une mèche d'un air absent. En marchant jusqu'au bureau de vote dans l'air glacial, puis entre chaque chapitre du roman que j'ai dévoré ce soir, quand trop ivre des mots je levais les yeux sur la ville cristallisée. Rien à faire, je ne la retrouve pas. Mon idée. Elle est partie avec le vent.

J'aurais donc dû me lever. Je me sens dépossédée d'un songe qui aurait pu être une clé.

mardi 2 décembre 2008