lundi 31 mars 2008

Portrait 6

Parfois pour rigoler, elle se dit qu'elle est comme le second violon. La troisième roue du carrosse, le quatrième jeudi ou le cinquième élément. Elle est à la fois sur toutes les lèvres et sur aucune, comme une rumeur, oui, qui passe en coup de vent et dont tout le monde parle avant de l'oublier.

Parfois, elle se dit qu'elle est comme le sixième sens. Celui qui fait peur, qui fait fuir, celui qui transpire par la langue et les pupilles et qui colle à la peau comme une sueur piquante qu'on s'empresse d'essuyer avec le coin d'une serviette rêche. Les regards s'attardent quand elle sourit au soleil, quand elle marche son foulard battant sur les flancs, les pieds dans la rue, à contre-courant. Elle pige dans les lueurs passantes des éclats dont elle s'enduit le visage et les bras, elle sait qu'ils ont la durée d'une demi-lune pâlotte ou la profondeur d'un ruisselet de dégel, quand la glace fond pour s'évaporer aussitôt en laissant de minuscules mirages traîner sur la route.

Parfois, elle se dit qu'elle est un chemin de traverse, ou une barque qu'on renverse sur le sable mouillé. Elle est un lieu de perdition et d'exil.

lundi 24 mars 2008

Au Cap

Première escapade au chalet nouvellement acquis de mes amis. Les enfants seront bien là-bas. Le fleuve entre par toutes les fenêtres et un ruisseau s'y rend en déboulant la côte.



Sur la plage plus bas, les cailloux transperçaient la glace, le sable était gorgé d'eau, Madelinette avait de la boue par-dessus ses bottes et elle riait en piétinant pour se sortir de là. Les enfants m'ont ramassé des roches de couleur pour que je garde un bout de la plage dans mon salon. Marius marchait les mains dans les poches en se faisant fouetter la gueule par l'air, il plissait sûrement les yeux derrière ses lunettes soleil parce que moi aussi, on glissait sur les vagues figées près du rivage. Il faisait froid mais la lumière sentait le printemps.








J'aurai "ma chambre" dans ce chalet. On retapera tout ça tranquillement en buvant de la bière, on fera des dîners tard et des apéros tôt, des siestes à l'ombre près des sapins, des corvées de bois, on ira à la pêche aux coquillages et on fera de grands dessins quand il pleuvra. Cet endroit est plein de promesses. Il donne déjà envie de raconter des histoires et de construire des souvenirs.

jeudi 20 mars 2008

Les miens

Aujourd'hui sur la route, j'ai croisé des dizaines de personnes le nez levé vers les branches. Plusieurs prenaient des photos, c'est évident, on n'avait pas vu ça depuis longtemps. Une ville magique qui se donne en spectacle, des rues enserrées dans des bras lourds qui tombent en formant des abris, des chapiteaux, des mails aux plafonds bas.

On ne voyait que les arbres.

Les miens ont les racines plantées dans un cimetière. Elles crochissent les pierres tombales aux noms à-demi effacés, et les troncs ont la forme de tous les dos qui s'y appuient l'été. Souvent, je vais dîner là, j'enlève mes sandales pleines de cailloux et je m'étends sur la terre. Au début, je croyais que c'était sacrilège que d'aller pique-niquer près d'une tombe. Puis les noms me sont devenus familiers, je touchais les pierres froides du bout des doigts pour leur dire que j'étais là, et je m'éloignais un peu pour trouver de l'herbe. J'y ai déposé des querelles horribles à une époque. Mais c'est un lieu étrange qui aspire les souvenirs pour les transformer en autre chose, une zone silencieuse dont on ne se détourne jamais. Alors je n'ai pas pu résister à les prendre en photo en pensant à ceux qui se reposent aussi au même endroit. Qu'ils soient vivants ou morts.











lundi 17 mars 2008

Détour

Quelqu'un m'a dit que sur Fullum, les arbres murmurent, leur voix mouillée dans l'air étuvé à froid. Ils parlent sans cesse, leurs branches cassantes se frôlent et racontent tous les secrets qu'on s'était promis de taire à jamais. Lorsqu'on ferme les yeux pour isoler les rumeurs, les noeuds jaillissent comme les bourgeons du printemps qu'on attend, comme les perles qu'on enfile sur des cordons colorés qu'on noue ensuite autour d'un cou penché, comme un balbutiement, un arrêt, une envolée. Comme une promesse, une promesse sacrée, comme un serment qu'on écrit dans l'écorce avec de l'eau salée, du sang clair et de l'encre muette, indélébile, invisible et tenace.



C'est une histoire qu'on laisse passer entre les racines, qu'on dépose là en mémoire, qu'on enfouit jusqu'au jour où on retournera peut-être creuser pour voir. C'est l'histoire d'une personne, d'une rue, d'une ville, c'est une image qu'on capte dans l'air et qui nous referme une porte au nez ou, au contraire, qui repousse les verrous rouillés en fusant comme l'arête d'une main qui s'abat d'un coup sur la chaîne.



C'est une flamme qui reprend, une chaleur qui fait presque mal, une lumière qui détonne en découpant les contours d'un coeur dans l'ombre.

dimanche 9 mars 2008

Contre-temps

Je sais pas ce qui m’est arrivé l’autre jour quand je t’ai croisé dans la rue. Je m’y attendais pas, faut croire, j’ai figé et je sais que ça t’a mis mal à l’aise. T’avais l’air de vouloir me parler même si tu fixais le bout de tes bottes en remontant la courroie de ton sac sur ton épaule droite. J’ai regardé les miennes aussi, et j’étais pas contente parce qu’il y avait encore des gros cernes de sel au bout. Et mes jeans étaient mouillées jusqu’au milieu du mollet et effilochées dans les mottes de glace. J’avais pourtant envie de défaire ton foulard qui montait trop haut et d’empoigner le col de ton manteau sans mes gants pour t’embrasser. Je me rappelle qu’il sent bon, tu fumes pas toi, alors il a juste l’odeur du vent et le parfum des draps qu’on laisse sécher sur la corde. Et que le bouton du haut se découd encore si tu l’as pas réparé. C’est sûr que tu l’as pas réparé. Ton univers n’est pas un bouton à recoudre, c’est pas le genre de truc que tu fais spontanément en regardant la télé, disons.

Quand tu me regardes de trop proche maintenant, je sais pas, je deviens retardée mentale. Pourtant, avec les mots j’ai pas trop de misère, d’habitude. C’est même le contraire, tu disais souvent que je parlais trop et que je devrais apprendre à laisser les bémols de côté. Les bémols, les double-croches, les contre-mi et aussi les notes en dessous de la portée, celle que j’aimais faire vibrer dans ma gorge quand ta tête était à côté de la mienne sur mon oreiller. T’aimais mieux les silences, je pense. Et les contre-temps. C’est peut-être pour ça que j’ai rien dit de banal l’autre jour quand je t’ai croisé dans la rue. Pour le silence d’entre les lignes, et pour la lourdeur que tu portes sur l’autre épaule. La gauche.

Je sais pas ce qui m’est arrivé mais t’avais encore tes mèches qui rebiquent et ta barbe de trois jours. Ça m’a énervée, je voulais juste me frotter la joue contre la tienne et tasser tes cheveux sans mes gants pour voir ce que t’avais dans la pupille. C’était une ombre tenace que j’aimais pas trop, et ta fossette n’était pas là, non plus, et je cherchais des mots pour la faire apparaître et je trouvais rien. Pourtant pour te faire rire, j’avais pas trop de misère, avant. Quoi que maintenant que j’y pense, tu souriais plus que tu ne riais. Ouais.

J’aurais peut-être dû t’inviter à aller boire un café. Ou une bière, vu que t’aimes pas trop le cappucino. Mais t’as regardé ton poignet et tu devais y aller. J'ai fait semblant de m'attarder à la vitrine de bijoux en avant de l’église. Je voyais ta silhouette dedans. J’ai posé ma main dans la vitre, sur ton corps qui descendait les marches. J’ai toujours été en retard pour te toucher.

samedi 8 mars 2008

Marius

Il était devant le rayon « Musique et Cinéma » de ma librairie rue St-Joseph. Je riais d’enfin le revoir au milieu des livres, je le trouvais aussi beau que des années auparavant, lorsque je l’observais secrètement en travaillant avec lui. Je me suis vite levée de mon bureau pour aller à sa rencontre, il faisait très chaud, soudain, et l'espace était empli, presque solide. Je ne me souviens pas du visage de celle qui l'accompagnait. Je me rappelle par contre avec acuité de ce premier dîner au bistrot d’en face, alors que nous remontions le temps avec des regards trépidants, des mots limpides et des confidences arrachées à l’urgence.

La rue du quartier St-Rock avait changé, oui, puisqu’il arpentait désormais ses trottoirs. Il entrait souvent à l’impromptu avec le soleil d’été, les mains dans les poches pour venir me soustraire à la poussière des rayons et m’amener pique-niquer dans l’embrun des fontaines ou sur les minuscules carrés de verdure, près des bosquets de Langelier. Nous marchions en nous tenant le bras, et sa tête se penchait toujours vers la droite pour capturer mes histoires et en faire des cerfs-volants qu’il tenait à bout de bras. Il pouffait sous le vent et je m’accrochais aux éclats pour continuer de voler.

Depuis, il est pour moi infatigable et omniscient, son oreille et ses bras toujours tendus comme des cordes vibrantes, sa voix basse ou sonnante au bout du fil, infatigable, oui, infatigable et berçante. Il sait mieux que quiconque se taire, aussi, et seulement déposer sa mâchoire dans le creux de mon cou en inspirant pour que s’écoulent les secondes. Il sait aller chercher les mots qui racontent trop d’histoires, décapiter les réserves pour en faire des bulles qui flottent silencieuses au-dessus de nous, et il accepte sans broncher tous les élans étranges qu’il comprend comme des certitudes qu’il ne condamne jamais.

Souvent, je me dis qu’il vient d’ailleurs. C’est peut-être parce qu’il a des feux de bengale au bout des doigts. Il les allume à répétition, en quête de comètes au drapé filant ou d’étoiles passantes, il se laisse éblouir toujours par l’attrait des cimes, surtout celles qui flamboient, rougissantes, à la lueur des lunes trop pleines. Il grimpe en rageant les pentes auxquelles s’accrochent ses semelles, en s’arrêtant parfois pour humer les odeurs fugaces qui lui collent aux mains. Lorsqu’il les porte à ses narines, ses yeux changent de couleur et les bourrasques passent, tenaces en lui prenant le cœur, en lui soulevant le cœur, en le portant très haut jusqu’à l’atteinte des vertiges qu’il veut à la fois combattre et ressentir.

Ses défauts sont des cailloux que je repousse du gros orteil au fond de ma botte. Ils roulent en piquant mais je finis par les jeter dans les escaliers en secouant le pied. Bien sûr parfois je lève les yeux en haussant les épaules, je souffle, je soupire, je piaffe ou je m’écrie, mais il m’apprend que les discordes n’écartent pas l’amour, et il m’enserre soudain dans ses bras comme dans les étoffes brodées des mots singuliers qu’il invente pour moi. Lorsqu’il se tait quelques jours, je sais qu’il recompose son espace en cherchant ses contours. Il me fait sentir que je n’en suis jamais loin; j’enroule le fil du téléphone autour de mon genou pour écouter le récit de ses exodes, les battures mouillées sur lesquelles il s’échoue volontiers et les écheveaux qu’il tisse sans le vouloir, et que nous démêlons ensemble.

J’adore être chez lui quand il n’y est pas. Arriver chargée comme une bourrique et laisser mes bottes à côté de ses souliers de vélo, ses espadrilles de gym, ses souliers de ville, ceux de travail et les autres. Tourner la clé dans la serrure, avoir l’impression d’entrer dans un lieu d’escale où je peux étaler mes pulls et mes pyjamas, égarer mes lunettes sous un livre et grimper sur le lit massif comme un ponton, haut comme celui de la princesse au petit pois. Je reste là à écouter les bruits de Montréal le nez dans son odeur flottante, et quand j’entends son pas dans les marches, je m’écrie « Coucou chéri! » en déboulant par terre.

Près de lui, je peux laisser s’évader mon essence et ma folie, délier ma langue et mon souffle, je peux chanter, sangloter, déposer les armes ou les lever en fendant l’air pour me battre, me replier sur moi ou me déposer, près de lui, je peux palpiter et outrepasser sans ambages des limites qui n’existent qu’ailleurs. Il est mon plus grand ami.

mercredi 5 mars 2008

La parole à Marius

Il y a quelque temps, Marius et moi avons décidé de nous lancer un défi. Une sorte d'exercice qui mettrait en jeu les mots que nous trouverions pour parler l'un de l'autre. Ce matin, j'avais son texte dans ma boîte de courriel. Je ne peux résister à la tentation de le mettre en ligne, comme je le rangerais précieusement dans une boîte que j'ouvrirais de temps à autre pour revoir qui je suis. Avec ces mots puisés aux tréfonds de son ventre et de notre histoire, Marius me fait une offrande dont il ne peut mesurer l'importance. Je l'ai lu plusieurs fois les larmes dans la gorge, le coeur en explosion. Je veux que vous le lisiez aussi non pas parce qu'il parle de moi, mais parce que c'est un texte qui trouve naturellement sa place ici. J'ai envie d'exposer son talent pour les images et la force de ses mots. Et partager avec vous un cadeau inestimable.

"Je l'ai revue par hasard, assise tout au bout des rangs de livres trop serrés de sa librairie rue St-Joseph. Avec mes doigts je mesure encore l'épaisseur du jour : elle avait la boucle facile et la joue qui suait un rouge presque parfait ; et elle riait sans le savoir pour moi qui la retrouvait belle comme la bergère de Grimault ou une lionne oubliée par Delacroix (et je sais que je l'exaspère déjà). Nos retrouvailles devaient être lumineuses. Tout ce que je peux en dire aujourd'hui tient dans le souvenir d'avoir voulu me coucher dans l'herbe à côté d'elle. Et puis ce jour-là la rue du quartier St-Rock a changé, elle est devenue rue Miléna. Rue Miléna on ne fait plus le tapin, on écoute plutôt la rumeur parler d'elle.

Elle est d'une autre trempe. C'est sans doute parce qu'elle a touché il y a longtemps aux bouts tordus des phrases. Elle pourrait vivre dans la marge mais elle a choisi d'être la reine de la Mare aux coquines. Ah oui ! c'est la Miss Swann des temps nouveaux et elle n'y peut rien : elle flotte le cul et la petite plume au vent, la tête au dessus du tintamarre. Je sais que c'est son âme trop sensible qui la soulève ainsi. Ou peut-être aussi son coeur, gros poulpe infatigable, qui s'étale fièrement sur nos vies comme sur une plage de galets gris. Je sais aussi qu'il n'y a pas de plus bel endroit que cette berge pour voir mes élans grandir. Dans un monde "envahi de tant de muselières", je peux lui dire je t'aime à en vomir, ma voix trouve toujours son écho et je vibre enfin.

Elle sait mieux que quiconque se compromettre. À tous ceux qui se cachent ou s'excusent derrière leur égo elle dit fada. C'est ma guerrière du je-suis-comme-je-suis, ma panoplie de nouveau marié devant le monde, mon voilà-comment-répondre-à-l'absurde-du-fake-et-du-dérisoire. Si elle avait cru en Dieu et s'il existait, ce serait sans doute une Jeanne new mode soulevant nos vies monotones. C'est une image de la révolte qui n'a jamais appris à cracher, c'est mon amie qui a compris il y a longtemps ce que les autres qui pataugent ne comprendront jamais.

Je ne lui connais pas de malice. Ses défauts sont des rictus que je mange en après-midi comme de la barbe-à-papa. Elle ne le croira jamais mais j'aime dormir avec elle. Sa poitrine est un drap blanc sur lequel j'ai déjà perdu mon envie d'être con, et je me suis levé au matin avec le goût du coton qui n'en finissait plus de se raconter autrement. Pas de doute l'odeur du café St-Olivier s'étiole et s'ouvre comme autant de canines dans la bouche des enfants qui demandent à manger.

Elle a le teint qui force l'été à changer de saison. Fallait-il que sa joue soit plus creuse que ma bonté, jamais a-t-on vu plus bel hospice pour un baiser. Sa bouclitude perpétuelle s'arrange pour mettre à mal tous les hommes sur son planning. C'est une foolish des hauteurs, une beauté qui ne se remarque que lorsqu'on est assez grand pour y voir. Et puis là-haut, misère, ça étourdis. Elle a des cuisses faites pour casser des noix, gare à toi pauvre ami qui veut enjamber l'atmosphère... ici c'est du sérieux, pas de couillon au bataillon. Faut se tenir devant une dame, pauvre ami. Tu la croyais moqueuse et coquine et tu pleures de la voir dans mon émoi : elle est trop justement faite pour aimer comme on n'aime pas.

Elle n'a jamais voulu apprendre dans la hâte du jugement. Elle s'ouvre, s'ouvre, comme si la coquille d'une huitre ça ne pouvait pas se détacher. Sa gueule minette est mon plus fidèle public lorsque je sors la mauvaise blague ou lorsque j'élève mes historiettes de Faduche à la hauteur du drame. Ses yeux me tirent à nouveau sur le pavé, dans l'écriture ou dans la voix, et j'ai trouvé chez elle la clé d'une nouvelle demeure. Elle est ma plus grande amie."

mardi 4 mars 2008

Confidence 2


Ça fait un an aujourd'hui. J'avais hâte à cette date, je me disais un an déjà... ou enfin? Je ne sais trop si le temps a passé vite ou lentement. Parfois, on dirait que c'était hier, la mémoire est encore très vive. Mais les idées sont beaucoup plus claires, maintenant. De la colère, je n'entends plus qu'un lointain grondement souterrain. Elle s'est muée en une sorte de force presque silencieuse qui me donne davantage de caractère et une liberté nouvelle. Dans ma tête, je veux dire.

Je me souviens qu'au début, les gens nous parlent du temps, ce grand manitou qui guérit miraculeusement les blessures, qui dresse des ponts planche après planche au-dessus de ce je visualise comme des crevasses, des ruptures de terrain, des craques géantes qui apparaissent trop profondes pour sauter par-dessus. On se fâche d'abord devant tant d'idées convenues, puis les jours passent et si on porte attention, on trouve soudain des endroits où poser le pied, et des cordes apparaissent sous nos mains. On se tient solidement, on a peur, c'est haut et il fait froid, mais tranquillement, on arrive l'autre côté. Appelé de loin par des voix qui nous encouragent et qui crient de tenir bon. Poussé par l'envie pressante d'aller mieux, de laisser aller, d'accepter et de comprendre. C'est trop difficile de vivre en guerre contre soi, contre les souvenirs, contre l'autre et les souvenirs de l'autre. C'est bien quand l'improbable arrive, qu'on se réveille un matin avec des convictions nouvelles et un regard différent sur ce qu'on a perdu. Parce qu'on se rend enfin compte qu'on a aussi gagné beaucoup de choses.

Alors j'ai (encore) décidé de m'inviter au resto, peut-être à l'Échanson, même. C'est là que j'avais rageusement bu ma peine face à un ami silencieux quelques minutes après la rupture. Ce soir, il en sera tout autrement, j'ai envie de fêter le passage de cette première année et tout ce qu'elle signifie pour moi. J'ai envie de trouver ça important. Et j'ai aussi et surtout envie de fêter l'arrivée d'un nouveau bébé dans notre famille. Il est enfin né cette nuit, dans l'eau comme une petite loutre, sous la lumière ténue des chandelles.

La mort et la vie s'entrelacent toujours.

C'est une journée très intense.

dimanche 2 mars 2008

Ballade pour Samuel no.2

Lente et longue randonnée en famille au chalet de ma tante sur le bord du fleuve. Ma soeur accouche demain, elle marchait en se dandinant comme une oie. Mes nièces éblouies par le soleil inventaient des maisons pour cheval et des bateaux imaginaires. Elles ont été impressionnées par le départ en canot des gars sur le fleuve enneigé. Moi, évidemment, c'est les gars eux-mêmes qui m'ont fait écarquiller les yeux... La route est bordée de maisons cossues, maintenant. Notre chalet reste debout, calfeutré dans la neige, presque le seul rescapé de la razzia des riches. Ça me rend triste. Surtout que je ne me rappelle plus où est AKILAWI, la plage de coquillages que mon père avait baptisée quand j'étais petite. J'y allais toujours seule avec lui, c'était notre balade d'amoureux, j'aurais aimé savoir où elle est pour y emmener ma filleule. Je la retrouverai peut-être au printemps. Ça me donnera l'occasion de lui parler de son grand-père.








samedi 1 mars 2008

Je sais

Je sais que t'as de la peine. Que tu vois rien autour ni devant, que t'as pas seulement de la misère à marcher, mais aussi à avancer. Que les nuits t'étouffent, que t'as des écouteurs dans les oreilles en permanence pour couper le bruit du monde et faire taire les pensées qui t'écrasent. Je sais que tout ça remonte à loin, si loin que tu sais même plus où, que t'as l'impression que jamais tu ne pourras rien changer. Je sais que rien ni personne ne te donnent assez d'espoir, que t'as les jambes enfoncées jusqu'à la mi-cuisse. Peut-être même jusqu'à la taille ou aux épaules. Je sais que t'es entravé et pogné aux tripes, que tu te sens comme un foutu château de cartes prêt à s'effondrer à tout moment. Que t'as si mal que tu sais plus comment rire de bon coeur, que t'as peur en permanence comme un enfant dans la nuit noire. Je sais que t'as honte, que tu veux pas, que tu crois pas, que tes yeux veulent se fermer, que tu implores le silence.

Je sais que t'en peux pu. Que tu pognes le mur ou le fond du puit, que tu tombes en spirale comme la poupée dans ce film qui m'avait terrorisée quand j'étais petite.

Mais y'a nos mains, juste là. Juste là, tu les vois? Ne les repousse pas, prends-les, agrippe-toi fort, on a du muscle en masse. On va planter nos pieds solidement, on va prendre de l'appui, et on va te tirer de là. Ça prendra le temps que ça prendra, mais toute cette lumière, là-dehors, je veux que tu la voies.