dimanche 9 mars 2008

Contre-temps

Je sais pas ce qui m’est arrivé l’autre jour quand je t’ai croisé dans la rue. Je m’y attendais pas, faut croire, j’ai figé et je sais que ça t’a mis mal à l’aise. T’avais l’air de vouloir me parler même si tu fixais le bout de tes bottes en remontant la courroie de ton sac sur ton épaule droite. J’ai regardé les miennes aussi, et j’étais pas contente parce qu’il y avait encore des gros cernes de sel au bout. Et mes jeans étaient mouillées jusqu’au milieu du mollet et effilochées dans les mottes de glace. J’avais pourtant envie de défaire ton foulard qui montait trop haut et d’empoigner le col de ton manteau sans mes gants pour t’embrasser. Je me rappelle qu’il sent bon, tu fumes pas toi, alors il a juste l’odeur du vent et le parfum des draps qu’on laisse sécher sur la corde. Et que le bouton du haut se découd encore si tu l’as pas réparé. C’est sûr que tu l’as pas réparé. Ton univers n’est pas un bouton à recoudre, c’est pas le genre de truc que tu fais spontanément en regardant la télé, disons.

Quand tu me regardes de trop proche maintenant, je sais pas, je deviens retardée mentale. Pourtant, avec les mots j’ai pas trop de misère, d’habitude. C’est même le contraire, tu disais souvent que je parlais trop et que je devrais apprendre à laisser les bémols de côté. Les bémols, les double-croches, les contre-mi et aussi les notes en dessous de la portée, celle que j’aimais faire vibrer dans ma gorge quand ta tête était à côté de la mienne sur mon oreiller. T’aimais mieux les silences, je pense. Et les contre-temps. C’est peut-être pour ça que j’ai rien dit de banal l’autre jour quand je t’ai croisé dans la rue. Pour le silence d’entre les lignes, et pour la lourdeur que tu portes sur l’autre épaule. La gauche.

Je sais pas ce qui m’est arrivé mais t’avais encore tes mèches qui rebiquent et ta barbe de trois jours. Ça m’a énervée, je voulais juste me frotter la joue contre la tienne et tasser tes cheveux sans mes gants pour voir ce que t’avais dans la pupille. C’était une ombre tenace que j’aimais pas trop, et ta fossette n’était pas là, non plus, et je cherchais des mots pour la faire apparaître et je trouvais rien. Pourtant pour te faire rire, j’avais pas trop de misère, avant. Quoi que maintenant que j’y pense, tu souriais plus que tu ne riais. Ouais.

J’aurais peut-être dû t’inviter à aller boire un café. Ou une bière, vu que t’aimes pas trop le cappucino. Mais t’as regardé ton poignet et tu devais y aller. J'ai fait semblant de m'attarder à la vitrine de bijoux en avant de l’église. Je voyais ta silhouette dedans. J’ai posé ma main dans la vitre, sur ton corps qui descendait les marches. J’ai toujours été en retard pour te toucher.

8 commentaires:

Marius a dit…

Je vais t'appeler Faduchette... très beau texte.

Doparano a dit…

Très beau texte indeed!

Mek a dit…

Miléna ! Stie. Tu nous fesses dans yeule si doucement… T'es comme une harpe qui tombe en apesanteur.

cdn a dit…

C'est exactement ça que je voulais dire.

Fefille a dit…

... ou comme on dit par ici: tel un chevreuil dans le wind cheer: pan !

Gomeux a dit…

Non, mais, quelle chute...
J'en tombe encore, ça va fesser mink j'atterrisse.
Y a pas trop de décalage pour nous toucher avec ton écriture en toué cas.

Anonyme a dit…

j'ai lue beaucoup fort.

Miléna a dit…

ouais, la chute... c'est souvent de ça dont y s'agit. De chutes, dans tous les sens du terme.

nonam: contente que tu te sois attardée. Et que tu le dises, surtout...:0)