lundi 30 juin 2008

Au Cap 6: Vaincre les sorcières


Ceux qui suivent la saga du Cap depuis le début se souviendront que j'ai une sainte terreur de me retrouver seule dans le bois la nuit. J'ai même une frousse certaine de la clairière lors des nuits sans lune; je trouve que les lieux de forme ronde cerclés d'arbres laissent place aux esprits, farfadets, feux follets et autres créatures naturelles ou surnaturelles, et que l'ennemi peut frapper de partout sans qu'on puisse crier gare. Lasse d'être la poule mouillée de service et déterminée à affronter toutes les sorcières volantes de la clairière, j'ai pris le zébu par les cornes et j'ai tenté Bergamotte parmi les hautes herbes. Au souper, tout un chacun me regardait avec un scepticisme flagrant (ce qui m'a piqué au vif, étant de nature fort orgueilleuse):

- Tu vas pas vraiment dormir toute seule dans LA clairière?
- Mais c'est plein d'ours dans le coin, Miléna... t'as pas peur?
- Tu vas être toute mouillée, il pleut des cordes! Dors dans la maison avec nous...
- T'es pas game! Je suis sûre qu'on va te retrouver roulée en boule sur le bord du poêle à bois!
- Je te fais quand même un lit, au cas où. Tu viendras nous rejoindre si t'as trop peur.
- Eh maudit! Je dormirai pas de la nuit! On t'entendra pas crier si tu te fais attaquer!

Stie. C'était déjà assez difficile de même, tout le monde en rajoutait. Les oncles, les tantes, les enfants et ma meilleure amie, surtout, qui me trouvait cinglée. J'étais encouragée par son homme, qui haussait les épaules en mordillant un brin d'avoine sauvage: Pfffft! Écoute-les pas, tu vas être super bien. La pluie va t'endormir.

Je me sentais investie d'une mission.

Quand tout le monde est parti se coucher, B* est venu me reconduire. Tsé. Faut pas charrier. Ben beau le courage, mais j'avais besoin d'une petite poussée, mine de rien. Les enfants s'étaient sauvés avec ma lampe de poche et c'était la nuit la plus noire au Monde. On n'y voyait goutte. Je me sentais comme quand j'étais petite et qu'on faisait des jeux de nuit au camp. Mon coeur battait un peu trop vite, j'avais hâte de me coucher avec la couverte par-dessus la tête. Mon ami m'a souhaité la bonne nuit et je suis restée toute seule à écouter la pluie. Je voyais les ombres des limaces pulluler entre les deux toiles, j'en avais même quelques unes comme compagnonnes sur mon tapis de sol. Le feu plus loin brûlait encore, les flammes jouaient à dessiner des faces venues des enfers. Je sentais la chaleur m'encercler. J'essayais de me laisser bercer par le bruit de la chute derrière le rideau de boulots, d'oublier la zone d'ombre tenace derrière la cabane du fond et celle de la coulée, au sud.



Je ne voulais pas penser à l'ours qui chemine nuitamment à la recherche de sa pitance (si tel est le cas), ni au renard qui peut bien venir gratouiller le seuil si ça lui chante. J'espérais que Roland veille sur moi, lui qui dormait à l'aventure dans une grange, sur un caillou au milieu de la rivière ou dans le Champ-du-Haut parmi ses amis les bestiaux. Le vin rouge absorbé près du feu aidant, je me suis endormie pour ne m'éveiller qu'à l'aube. Les femmes se berçaient près de la truie fumante quand je suis rentrée faire pipi. La Rousse m'a serrée dans ses bras en me voyant arriver trempée jusqu'aux genoux, réellement soulagée que je sois en un seul morceau.

J'étais ben contente de moi. J'aime ça remporter des victoires sur mes sorcières.

dimanche 22 juin 2008

Tuer le temps



Sa tête était comme ça: pleine de trous, de lignes rouges et de bleus, rapiécée en dedans comme au dehors. Tellement qu'à la fin, on n'y pouvait plus rien. Il fallait la laisser telle quelle, comme à l'abandon dans un champs envahi de lupins. Le bois pourrissait de partout en gondolant, les tuiles se détachaient une à une en tombant avec un bruit mat dans l'herbe haute. Quatre enfants couraient autour pour ramasser les éclats et tenter de les remettre en place. Mais ils étaient trop petits. Leurs bras ne se rendaient pas.

Ils se hissaient en se chamaillant pour regarder à travers les fenêtres, ils passaient la porte sur la pointe des pieds pour ne pas se prendre les cheveux dans les toiles d'araignées, ils dessinaient avec de la peinture fraîches les lignes qui manquaient à l'intérieur pour retrouver le chemin de la parole. Celle qui faisait défaut, qui s'enfuyait entre les lattes en crachotant, la parole qui aurait voulu dire précisément l'indicible, oui, mais surtout les centaines de "je t'aime" qu'il fallait pour survivre. Le silence était palpable quand la lumière baissait. Au milieu de la nuit, les peurs sortaient de sous les ombres, la solitude s'abattait comme un édredon trop lourd et trop chaud, les sueurs se mêlaient aux larmes. Au milieu de la nuit, la poussière remontait pour étouffer les cris.

Elle était en ruine. Envahie de courants d'air, grugée par les termites qu'on déteste trouver sous les tapis et derrière les meubles. Mais elle a tout de même tenu le coup tout ce temps. Je pense que c'est grâce à cette femme qui essayait de la retaper dès l'aube; elle en faisait le tour des dizaines de fois pour ne rien laisser au hasard. Elle entrait résolument pour réparer les brisures à la mesure de ses mains. À la mesure de son coeur. À la mesure de sa voix. Mais dès qu'elle ressortait en tenant un mioche sur son ventre, les trois autres collés aux basques, le vent se levait à nouveau et tout était à recommencer.

Alors ils ont accepté de la laisser comme ça. Rapiécée de partout mais debout, encore, accoudée à la maison. Aujourd'hui, 10 enfants courent autour en riant. Les lupins poussent toujours, et le vent charrie des histoires qu'il dépose sur les oreillers, la nuit venue.

samedi 21 juin 2008

Laura




Laura fait rouler ses billes dans les rainures du pont. Elle saute à la corde en suivant les lignes du bois, 30 sauts pour aller, 30 sauts au retour, ou alors elle lit assise en indien près de l'entrée des romans qu'elle dévore en mordillant la peau de son pouce droit. Depuis qu'elle est en âge de descendre là-bas toute seule, elle passe ses après-midi à l'ombre, à regarder la rivière sautiller à travers les murs ajourés. Elle s'est construit un univers bien à elle, Laura a la tête ailleurs la plupart du temps. C'est une fillette silencieuse qui fuit les jeux des enfants du hameau. Elle les entends crier et rire dans le parc juste à côté, elle les voit grimper aux branches basses des arbres qui déroulent leurs grands bras à la surface de l'eau pétillante. Laura préfère se hisser sur les murs de son abri couvert, elle ne sent plus les échardes qui entrent dans ses genoux. Elle est forte, Laura. Elle vient d'avoir 10 ans.

Elle partage son refuge avec des oiseaux qui nichent là-haut. Elle s'étend parfois au milieu du pont pour les regarder voltiger d'une poutre à l'autre. Elle aime les taches rouge sur leur poitrine et leurs discussions animées. Elle ne sais pas comment, mais elle les comprend. Elle leur parle doucement la tête penchée vers l'arrière, le dos au sol, les bras en croix. Sa mère ne veut pas qu'elle fasse ça. Mais elle s'en fiche, Laura. Elle pense qu'elle aura toujours le temps de se lever pour se ranger sur le côté, sur cette longue planche où elle marche parfois en équilibre sans même étendre les bras.

Il fait très sombre lorsqu'elle arrive en courant pour écouter l'orage. Il est 4h mais on dirait presque la nuit tant les nuées sont opaques. Elle se couche au milieu et elle ferme les yeux pour mieux entendre la pluie qui claque sur le toit. Elle raffole de cette peur qui lui serre un peu le ventre quand le tonnerre éclate en gros bruits colériques. Elle entend la rivière crépiter, elle sent l'odeur de la boue fangeuse du marécage tout proche. Elle est bien, Laura. Le ciel gronde encore, les éclairs se suivent de près. Elle n'entend pas le camion déraper dans la courbe en gravier. Les pneus refusent de mordre les cailloux et le sable détrempé, le chauffeur voit Laura trop tard, il est déjà sur elle quand elle saute sur ses pieds. Il traîne son corps sur toute la longueur du pont avant de parvenir à s'arrêter. L'homme sort en hurlant. Il la reconnaît, sa Laura.

vendredi 20 juin 2008

Incursion






Tu veux savoir ce dont je ne me passerais jamais et tu es surpris que je ne réponde pas: "De toi". Tu me demandes comment est ma route et pourquoi je ne reste jamais en place. Tu penses que je devrai me poser un jour, que ce n'est pas une vie que toutes ces heures passées ailleurs. Tu dis que mes bagages sont trop lourds et que je suis souvent seule. Tu ajoutes que je suis loin, que mon frigo est vide, que mes plantes meurent et que personne ne sait trop où me joindre. Tu crois que je me sauve, peut-être. Tu m'avoues que je te fais peur, à force d'être nomade dans mon corps et mon coeur.

Tu me compares aux vents et souvent même aux orages. Tes mains sont sur moi comme des ponts-levis, des portes relevées pour me garder captive. Je ris sur tes lèvres en posant un doigt dans le sillon de ton front pour l'effacer. Il est de trop entre nous comme ces mots que tu lances pour harponner mes silences et me faire rester là.
Moi, ce que j'aime, c'est revenir vers toi. À chaque fois. Parce que tu vois, la route, je ne m'en passerais pas. Si je te dis que tu fais partie d'elle, tu me crois?

mercredi 18 juin 2008

Détour impromptu



Je me suis toujours demandée à quoi ça pouvait ressembler mais je n'osais trop m'y rendre. Question de superstition, je crois. Je préférais de loin l'imaginer. Je n'ai pas eu le choix d'emprunter le détour, ils repavaient la route. J'ai suivi les balises malgré moi et je m'y suis retrouvée.

Finalement, j'ai trouvé ça très beau.

Je me suis inquiétée pour rien.

mardi 17 juin 2008

Réminiscences 6

Je suis toute seule dans mon nid de coucou. Aucune amie ne risque de venir squatter la petite chambre bleue ce soir, je n'attends (hélas!) pas d'amant. Je me tiens loin des fenêtres, je suis dans mon bureau dont la seule issue est un puits de lumière. Par mesure de précaution, je tire les rideaux de ma chambre. Isolée ainsi, je peux oser revêtir la robe de chambre de mon père.

Elle doit bien avoir trois décennies. C'est un bout de tissu en ratine vert olive informe qui n'a plus de ceinture. Le devant et les manches (trouées) sont tachés d'eau de javel, les coutures cèdent par endroit, le bas rebique en s'effilochant. Elle pèle par plaques et les deux poches pendouillent mollement comme si j'y rangeais des kleenex usagés roulés en boule. Évidemment, elle est beaucoup trop grande pour moi; je ressemble résolument au sac crade d'un vieux routard barbu.

Mais je l'aime d'amour. Quand je la porte, il arrive parfois des choses étranges. L'autre soir, j'ai fait un mouvement brusque et l'odeur de mon père m'est revenue d'un coup. De saisissement, j'ai reculé la tête. Puis je restée interdite. J'avoue même avoir été un peu effrayée. Je l'ai pourtant lavée cent fois au moins, je me disais qu'il était impossible qu'il reste des atomes de lui dans les fils du tissu. J'ai été très émue par les images qui sont venues, subitement transportées par ma mémoire olfactive.

J'ai essayé de retrouver cette odeur plusieurs fois depuis en reniflant le tissu à intervalles réguliers, mais je ne l'ai jamais retrouvée. Elle doit dormir.

lundi 16 juin 2008

Cherchez la femme



Derrière cette grange il y a un grand corps vallonné de femme étalée dans les arbres. On voit bien son sein galbé et son mamelon affriolé par le vent salin. Plus loin sur la droite, hors champ, il y a son ventre de gourmande épanouie et la cuisse qu'elle soulève légèrement dans l'attente d'un souffle pour la faire s'ouvrir. Elle est lascive et diablement attirante, même le gamin de 12 ans tourne la tête en silence vers elle quand on roule sur ses flancs.

Sa tête disparaît comme si elle était penchée vers l'arrière sur le bord du lit, une épaule ronde appuyée sur le montant de bois, le front balayé par un rideau qui claque pendant qu'une main géante la caresse du bout des doigts.

* soupir *

Quand une montagne provoque autant d'images, on peut dire sans se tromper qu'il y a une sacrée lune qui déchaîne mes marées intérieures.

dimanche 15 juin 2008

Immobile, enfin



Le sommeil arrive plus vite, là bas. Suffit d'accrocher son cerveau à la patère près de la grande porte, de laisser la fenêtre ouverte et de se tourner de côté dans les odeurs de pluie. D'écouter le silence et les bruissements sauvages après avoir plongé les mains dans la terre, de s'étendre de travers dans les draps humides en soupirant profondément. Les nuits qui fuyaient dans l'effervescence reviennent à pas lourds s'accrocher aux paupières; on s'endort ennivré de coups de lunes, le visage rougit par les braises. Suffit de perdre ses pensées dans le ressac à minuit, de regarder les ombres de ses amis s'affaler dans le sable, de ne plus parler à l'instant où on a envie de tout dire. Suffit de rester immobile, enfin.

vendredi 13 juin 2008

Avant de partir

Tu me donnes envie de te rendre dingue. Je veux que tu t'arrêtes sur le bord de la route pour m'appeler, que tu m'envoies des courriels érotiques en plein milieu de la journée, que tu m'attires au lit dix fois au lieu de partir travailler. Je veux que tu viennes cogner à ma chambre d'hôtel dans une ville où tu ne vas jamais. Que tu t'introduises en silence dans mon appartement pour venir m'y attendre avec le sourire aux coins des yeux. Ce sourire qui me fait désobéir et te cacher, qui me fait taire et espérer des jours ailleurs qu'ici. Je veux que tu trembles au-dessus de moi et que tes bras trahissent tout ce que tu retiens de me donner trop vite. Je veux que tu ailles lentement, que tu entres chez moi en louvoyant, que tu gardes des espaces et des regards pour les tapisser partout où je te donne accès. Je veux qu'ici, avec moi, tu ériges non pas un avenir mais le présent, et que toutes ces minutes volées mènent la vie dure aux regrets.

jeudi 12 juin 2008

L'autre chemin


Tes mots ont dépassé ta pensée et c'était comme si je tombais dans un nid d'orties. Sous mon épiderme, les centaines de cils empoisonnés ont tracé des sillons hurlants. J'ai regardé mon sang perler. Hébétée. J'avais les bras pris dans les épines, mes pantalons accrochés de partout au milieu de la garenne. Je suis restée immobile pour constater l'étendue des dégâts. Tu as cessé de parler et j'ai senti la fuite des syllabes que tu voulais ravaler comme un reste de bile qui n'arrive pas à sortir. La honte t'as fait reculer d'un pas et mon regard de 1000 autres, je ne t'ai même pas demandé de m'aider parce que je ne voulais soudain plus rien de toi.

Tu as tourné les talons et dévalé le reste du sentier en glissant sur les branches pourries. J'ai réalisé que tu partais pour la dernière fois et je ne pouvais même pas baisser les bras. J'ai déchiré la peau de mon bras droit pour déprendre l'autre. De ma main libre j'ai enlevé en pleurant les aiguilles qui me retenaient. Au carrefour suivant j'ai trouvé une fontaine où je me suis lavée, où j'ai plongé la tête en fermant les yeux très longtemps, où j'ai tenu mon souffle, où j'ai bu pour transformer l'amertume. Les vieux qui tuaient le temps sur les bancs de pierre m'ont pointé la direction que tu avais prise. J'ai hoché la tête pour les remercier et j'ai suivi l'autre chemin.

lundi 9 juin 2008

Hantée







C'est troublant, toutes ces écailles de toi qui restent accrochées aux portes. Ton odeur de bois persiste encore dans cette partie de ma mémoire qui se juchait jusqu'à ton cou. En pleine lumière, je suis capable de plonger dans tes égratignures pour les examiner de près. Elles sont émouvantes parce qu'elles rappellent les années que tu as passées seul à chercher une issue. Quand tu lançais ton bras par n'importe quelle fenêtre ouverte pour déchirer l'absence et toucher enfin au vent chargé d'humidité, ce souffle qui te donnait envie de grimper les collines en souffrant et de les débouler en roulant dans l'herbe comme un enfant d'école. Je reconnaîtrais ton âme entre mille, elle est incrustée partout, elle se matérialise en contours flous qui m'obnubilent. Quand je crois l'apercevoir enfin, les poils de mes bras se dressent et j'accélère le pas; mon coeur marche loin devant pour être certain de ne pas rater l'exact instant où tu reviens me faire un signe silencieux. Parfois même, tu écris dans la suie, dans la poussière, dans les cailloux ou dans le sable, tu traces des lettres ou des signes que je suis seule à voir. Pour un peu je poserais un genou par terre pour balayer les brindilles qui empiètent sur les rhunes et les autres symboles si flous que tu laisses traîner partout pour moi. Pour un peu, je partirais en courant coller mon nez aux carreaux éventrés, je briserais mes ongles sur les loquets fermés, je grimperais même aux barreaux, à tous les barreaux, je grimperais pour atteindre ne serait-ce qu'une infime partie de ce que tu as laissé derrière toi, en ruine. Et je le reconstruirais.

À mains nues. Je le reconstruirai.

Et alors, les portes s'ouvriront à nouveau.

samedi 7 juin 2008

Et après?

"Après, il ne restera que le léger, le fluide, le lumineux! Oh yeah!"(1)






(1)Extrait de: "Correspondance avec &, chapître X, verset XII

dimanche 1 juin 2008

Passeuse de vie

Elle passe ses journées dans une grande maison figée au sommet d'une falaise. Les arbres forment un écran qui absorbe les sons de la ville pour protéger le silence qui précède la mort. La lumière entre à flot, pourtant, par les larges fenêtres à battant, les rideaux s'écartent en voletant pour distiller la fraîcheur sur les fronts brûlants. Parfois, on entend la musique accompagner une âme qui monte au plafond. Le cri d'une femme se fracasser au dernier souffle de son mari, les pleurs hachurés, les soupirs de soulagement, les phrases de reddition, les déclarations ultimes, les pardons, les rancoeurs balayées sous les caresses. Les tapis absorbent les pas pour ne pas troubler les prières qui s'évadent au seuil des portes closes.

Avant, elle sauvait des vies. Maintenant, elle préfère accompagner les mourants. Et leurs proches, évidemment, parce que ce sont eux qui restent souvent pantois avec une tonne de brique dans le ventre et autant de gravier dans la voix. Je vois d'ici comme elle doit les barder d'amour, et ils trouvent sûrement dans ses yeux une source, un réconfort, un élan. Je la connais bien, je sais que ses mains contiennent une sorte de magie et qu'elle parvient d'un geste à dénouer les noeuds de la douleur. Elle recueille précieusement les larmes et trouve d'instinct les mots lénifiants qui apaisent les brûlures des grands chagrins.

Je ne comprends pas comment elle fait pour accepter l'omniprésence de la mort avec autant de sérénité. Loin de l'anéantir, la disparition des êtres lui donne la force de mieux affronter l'existence. Son regard a changé, elle ne mesure plus les écueils avec la même gravité. Elle s'efforce de nous contaminer de cette vision éclatante de la vie et nous apprend à relativiser les événements qui nous blessent. Quand je me laisse prendre par la tristesse comme hier, j'essaie de puiser dans ses paroles le courage de bomber le torse, de laisser passer la vague et de m'ancrer solidement les deux pieds dans ma vie.