vendredi 31 août 2007

Portrait 3

Elle aime bien se retourner dans son lit en grognant d'aise, reléguer son maquillage aux oubliettes, ne porter que des espadrilles, baiser à toute heure du jour et de la nuit, prendre l'apéro très tôt et longtemps, traîner sur les terrasses, prendre la route sur un coup de tête pour aller déjeuner loin. Manger des huîtres arrosées de jus de pamplemousse, lire la tête à l'envers sur son nouveau divan, espionner des conversations au restaurant ou dans le métro et s'en faire des coups de théâtre. Elle aime se promener la nuit et regarder par les fenêtres éclairées. Surprendre des scènes dont elle se repaît en cachette. Elle aime bien entrer dans l'intimité des gens, elle prend possession de l'espace quand elle s'invite chez eux, sans doute pour tester les limites de leur solitude. En laissant une brosse à dent sur le bord de l'évier, par exemple, ou des sacs dans l'entrée, un savon dans la baignoire, une serviette derrière la porte, un verre de vin vide sur la table du salon. Une trace de doigt dans la poussière d'une bibliothèque. Elle désire la tendresse qui s'étire sans rien promettre et une main lisse dans ses cheveux, qui s'arrête juste là, près de la tempe. Elle espère parfois des bras juste pour calmer ses paumes ouvertes. Elle veut simplement parvenir à respirer en fermant les yeux à demi et se sentir chez elle partout

mercredi 15 août 2007

Contradictions

On est drôlement fait.
On veut de l'espace mais si personne ne nous cherche, on se dit que personne ne s'inquiète, on veut l'amour et quand on l'a, on regarde parfois ailleurs en se disant que les gens seuls sont biens. On veut se coucher tôt et on sort, on lit, on écoute la télé, on tchate, on tourne et retourne avec nos pensées comme une couette trop pesante. On veut maigrir et on se tape des gâteaux au chocolat ou de la poutine, on veut la paix et on s'énerve après des riens. On veut arrêter de boire quelques jours et on accepte le premier 5@7 qui se présente. On a envie de silence et on met de la musique, on veut parler, se confier et se dévoiler mais on se tait, on ment, on dissimule ou on se demande si on devrait dire ce qu'on a à dire. On veut économiser et on se tape des bouffes à 150$, on veut être sage et on frenche le/la premier(e) venu(e), on fume des joints, on prend une brosse. On dit oui quand on veut dire non, on veut éviter certaines erreurs et on en commet d'autres, on veut partir loin, longtemps, mais on reste à cause de la job et de l'appart, on veut voir notre famille et cet ami qui nous manque mais on n'a pas le temps. On a peur de la solitude mais maudit qu'on est ben tout seul dans un divan tranquille, on a peur de l'engagement mais on se surprend à vouloir l'autre tout près, tout le temps. On a la chienne d'échouer mais on bombe le torse et on fonce avec tout ce qu'on peut, on craint d'avoir mal mais on se laisse quand même aller. C'est pas reposant tout ça.

vendredi 10 août 2007

Portrait 2

Elle essaie d'écouter le silence. De voir ce qu'il a à lui apprendre. Elle n'ouvre pas la radio, ne met pas de musique, elle se couche tôt pour voir si les nuits se passeront mieux. (Elles ne se passent pas mieux, elle a des problèmes avec la nuit. Elle en aura toujours.) Elle fait encore des cauchemars et se réveille à l'aube avec les oiseaux et la lumière. Elle ne sait plus trop qui regarder des femmes ou des hommes alors elle regarde tout le monde pour tenter de capter cet éclat particulier qu'elle aime voir sous les couches que les gens mettent par-dessus eux. Elle ne se protège pas trop, elle aime mieux guérir que prévenir. Elle sourit aux agents de circulation et aux commis de magasin, ouvre la porte aux handicapés à moteur, laisse passer la femme enceinte devant elle dans la file des toilettes publiques, marche la tête haute et pivotante sur les trottoirs. Elle écoute. Le silence et les bruits ambiants. Le frigo qui ronronne, la goutte qui fait ploc à répétition, les rumeurs de la ville et de ses amis bavards. Elle lit des livres qui traînaient dans les tablettes, pense en vendre quelques uns pour faire de la place mais a peine à imaginer se départir des pages qui l'ont fait quitter sa vie. Elle a des milliers d'images en sarabande constante dans sa tête. Elle se demande qui lui manque, ce qu'il lui manque. Elle est confrontée à elle-même. Elle va aller voir ce qu'elle peut trouver de beau, comme une plongeuse en apnée qui descend des paliers à la recherche de ce qu'elle n'a encore jamais vu.

mardi 7 août 2007

Portrait 1

Elle avait des pouces plein les mains. Ses sauces collaient aux chaudrons, son couscous était gluant, les rideaux tombaient mal, elle lavait les vêtements au mauvais cycle et les tissus se froissaient ou déchiraient ou faisaient des peluches. Elle aimait faire le ménage de son intérieur mais sa maison n'était jamais impeccable, les robinets fuyaient, ses plantes mourraient de sécheresse ou de noyade, de manque de lumière ou de chaleur trop vive. Elle reculait dans les poteaux, accrochait les voitures dans les parkings, fonçait dans les cadres de porte, renversait inévitablement son verre de vin rouge sur les nappes blanches des restaurants. Son café sur son collègue de gauche en réunion, son rosé dans un cendrier plein. Elle trébuchait sur les trottoirs, glissait sur les rochers en s'écorchant les genoux, était couverte de bleus à force de se cogner sur les coins de table. Elle se perdait sans cesse sur la route, incapable de lire une carte, se barrant invariablement dans la direction opposée. Elle s'y reprenait à trois fois pour décrocher une fenêtre double. Elle n'avait aucune patience pour les files d'attente, à l'épicerie et à la banque elle soupirait sur la lenteur ambiante. Elle n'aimait pas non plus la solitude, le silence lui faisait peur, elle le trouvait assourdissant alors elle allait toujours ailleurs pour les rumeurs des conversations et les discussions qu'elle pouvait glaner discrètement pour alimenter son côté voyeur. Elle voulait sans cesse des histoires pour chasser la monotonie, pour se sentir vivante et avoir des choses à raconter, petites anecdotes croustillantes qui provoquaient les éclats de rire de ses proches. Elle voulait être une luciole. Elle était la fée clochette prise au piège d'une cage de verre.