La côte est une femme plantureuse tout en courbes et en falaises luisantes des cascades d'eau qui glissent sur sa peau. Elle en parcourt les routes les fenêtres ouvertes pour capturer le souffle marin qui nettoie l'âme en piquant les joues. Il pleut. Les rivières débordent dans les congères en grandes rigoles sautillantes comme des troupeaux de moutons blancs affolés. Elle a baissé les bancs de sa voiture pour transporter ce qu'elle avait d'essentiel. Elle pourrait bien ne plus revenir. Tout ce qui reste chez elle est superflu: des tasses disparates, des draps aux couleurs passées, des meubles qu'elle avait amassé à gauche et à droite pour se donner l'impression d'avoir un chez soi. Elle a laissé ses trousses à crayons, ses lanternes chinoises, sa collection de sable blond, noir et roux, la coutellerie de sa grand-mère, des cassettes enregistrées quand elle était adolescente, les outils dont elle ne s'est jamais servis, les phrases jetées sur des napperons de restaurants, sur des signets ou des serviettes en papier déchirées. Elle a aussi laissé ses diplômes, tous ses albums photos, les vieilles diapositives de son enfance, les jeux auxquels il manque des pions, une centaine de National Geographic et des dizaines de boîtes de livres. Elle a seulement entassé dans de grands bacs en plastique quelques vêtements, son ordinateur portable et ses bottes de pluie.
Elle ne fuit pas elle s'évade, transportée par la voix muette de ses fantômes et par les cicatrices qu'elle cache à l'intérieur d'elle. Elle s'évapore pour aller caresser les striures blanches qu'elle porte sur son coeur, dans son ventre et sa tête. Ses cicatrices sont des poussins fragiles dont les plumes encore collées doivent sécher avant de se transformer.
Son cellulaire vient de rendre l'âme. Personne ne sait où elle est ni où elle va. Elle veut qu'on la recherche mais pas qu'on la trouve. Elle court vers un espace qui ne serait qu'à elle, loin des lieux qu'elle a toujours fréquentés, à l'abri des regards qui quêtent une image à laquelle elle ne veut plus répondre. Elle a noué un fichu thibétain sur ses boucles. Elle ne s'est pas maquillée, a enfilé le vieux pull marin de son père, celui qui sent l'humidité et les embruns, a chaussé ses vieux espadrilles et mis les jeans qu'elle réservait aux travaux et à la peinture. Elle a coupé ses ongles, oublié de se faire les sourcils, ne s'est pas rasé les jambes ni les aisselles. Sous ses vêtements, un vieux slip rayé bleu et blanc et un soutien gorge sans dentelle. Elle fait la grève des artifices. Le soleil dessine ses courbes lumineuses derrière la fumée des nuages. Elle vient de perdre le poste de radio qu'elle écoutait. Une marmotte traverse la route devant elle. Ce soir elle sera loin.
2 commentaires:
Ça fait du bien!
Sans toi, Internet c'est pas pareil. MIcrosoft, Apple et google devraient se cotiser pour garder en ligne au quotidien. Sacré nom de nom.
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