mardi 16 septembre 2008

Entre les lignes (ou sous la jupe)

C'est l'histoire d'une fille assise sur un tabouret de bar, et qui raconte, sur un napperon maculé de sauce au Porto, l'histoire de l'homme rencontré un peu plus tôt. Elle griffonne avec les basses comme balises, meublant le seul espace silencieux du zinc avec les morsures bruyantes de sa plume; entre les bravades d'une bande de gars chauds et les jacassements de leurs hologrammes féminins, elle forme à peine un muret. Mais c'est un muret de béton armé et ce soir, les mots déboulent comme des amas de glaise fragile sur un cap millénaire. La masse de ce qu'elle étale devant elle est compacte, glissante et graveleuse. Elle est mouillée, dense, malléable et lourde. Après un demi-litre de rouge et devant son Amaretto double, elle penche la poitrine sur le bar, les coudes à angle droit, le menton levé, ses cheveux qui ont pris toute la pluie éparpillent dans la lumière halogène les épines d'un hérisson furieux. Elle remonte à rebours les images natives et les rebonds curieux d'une existence dont elle ignorait tout il y a quelques heures. Elle est piégée par la pupille plantée dans son crâne comme le coeur noir d'un soleil qu'on fixe trop longtemps. Ses yeux mouillés clignent à peine entre deux syllabes le temps d'imprimer des lettres maladroites qu'elle aura peine à défricher demain. L'ivresse est double en cet instant où elle prend toute la mesure de ce qu'elle transporte. Antonio, le barman italien, lui offre un second verre. Double. Avec beaucoup de lime. Elle relève à peine la tête le temps de lui sourire et de cogner son verre contre le sien; elle replonge dans les abîmes de l'autre pour extraire ce qu'elle a trouvé de mieux à dire. Elle raconte d'un trait le reste de ses fractures, ses élans de passion, son épaule contre la sienne et le fluide qui passait en ligne droite entre leurs assiettes. Elle parle de l'amour, une des choses qu'elle sait le mieux décrire et qu'il a si bien su voir pour cibler droit au coeur de ce qui la fait battre. Elle a son début d'histoire. Celle qu'elle cherchait depuis longtemps. Elle hésite puis elle signe son nom en bas du texte. Comme si elle s'appropriait ce qu'elle vient d'écrire, mais aussi la suite, qu'elle sent déjà poindre juste là, entre les lignes.

5 commentaires:

Gomeux a dit…

Stie, une chance que tu disais que t'allais te taire!
Wow.

Mek a dit…

Oulah ! J'attache ma tuque.

Doparano a dit…

Mission accomplie fille !

Anonyme a dit…

On va en avoir d'l'agrément !

Dood

Fefille a dit…

excellent: j'aime, j'achète ! la suite c'est pour quand ?