lundi 8 mars 2010

Ludovik


Ludovik est le gardien d'une cabane de jardin à ciel ouvert. Son domaine moutonne par les soirs de grands vents, les marées chahutantes l'ont fait bien vite se replier près de l'évier en inox de l'aire de travail, près d'une radio qui joue en permanence pour rameuter les étoiles. La plus brillante s'appelle Diane. Il garde un oeil plissé sur elle, qu'il épie de loin depuis qu'elle a quitté la Terre. Celle qui était sa maîtresse depuis longtemps s'est envolée en 8 jours à peine, transbahutée dans les nuages par une meute de crabes machiavéliques qui ont pincé ses mèches blondes une à une pour la tirer vers l'espace et le temps infini des deuils obligés.

Ludo est le gardien des enjambées qu'elle faisait sur la grève par les aubes et les orages. Sa manière de rire s'est imprimée dans ses rétines et depuis l'absence de sa voix, il est figé dans le formica orange près des miroirs tavelés de gouttes de pluie. Dissimulé dans l'ombre, il veille sur l'amoureux qui arpente la rive dentelée de glace, la tête baissée. Il garde ses souvenirs imprimés sur des plaques de bois peintes et ornées de fleurs, protège la pointe des ciseaux et le bout pointu des pics, isole le plat des massues et le fil des exactos suspendus. Quand tout le monde dort, il se pelotonne dans les anciens pots de terre cuite, se frotte les pieds sur son porc-épic de laine rêche pour enlever la glaise de ses semelles et il respire l'odeur de la citronnelle qui émane du récipient à demi-ouvert près de son nez. Ses yeux coulent tous seuls, il n'y peut rien. C'est ainsi que se creusent les sillons qui modulent ses joues et le coin de ses paupières.

Il épelle chaque lettre de son nom en silence quand les marées charrient des têtes de phoques près du ponton. Les couchers de soleil sont des rubans qu'il voudrait saisir pour aller la rejoindre; il pourrait alors lui raconter les mots qui parlent d'elle, les conversations gênées près du barbecue, les questions qui fusent comme des étincelles sur la berge pendant les feux de camp; il pourrait la rassurer sur la part de son âme qui demeure vivante dans les plates-bandes entre les roches-coeur, sous les racines découvertes du grand pin, près de la croix blanche enfoncée dans les minuscules coquilles vides qui la retiennent, dans les crèmes et les parfums qui embaument la salle de bain du bas. Dans les cheveux de son homme, surtout, et dans chacun des rires qu'il dirige vers les vagues en parlant d'elle avec l'amour qui fuse de la résignation, du dépit, des rêves encore fasseyants et de la douleur qui survient beaucoup trop tôt.

Ludo est le gardien d'une maison rouge plantée sur un tas de rochers exilés. Son regard m'a dit qu'elle était là, près de la clôture et sur le rond du poêle à bois, dans un cadre et même dans ce vase qui est tombé subitement pendant qu'on dansait à minuit. Elle était perchée sur l'épaule de son amoureux pendant qu'il cuisinait les filets de porc au pesto, qu'il changeait nos draps en déposant des serviettes pliées sur la courtepointe, dans les algues dodues qui éclataient sous nos pieds en couinant et dans l'ombre des échelles d'où sortait une vapeur inattendue au petit matin.

Son teint crayeux sous la lune m'a effrayée. J'avais peur qu'il escalade le silence pour m'empoigner le foulard de ses petites mains blanches et qu'il souffle sur mes joues des mots que je n'étais pas prête à entendre. J'ai posé ma mitaine droite sur sa tête, une rouge à pois blancs tricotées par ma grand-mère, et je lui ai demandé de se taire. Il m'a fait un clin d'oeil et je me suis servi un gin tonic. La musique continuait de jouer en sourdine, les bûches flambaient dans le fort de neige près de la rive. Une étoile brillait au-dessus du grand pin. C'était Diane. Il l'a regardée toute la nuit.

4 commentaires:

piedssurterre a dit…

Les mots ne me viennent pas facilement après la lecture de tes textes. Alors je ne chercherai pas à exprimer ce que je ressens à te lire. Je veux simplement te dire merci.

Mek a dit…

Oh, baby.
Direct dans le recueil.

Doparano a dit…

Milou... Pkoi tu ne m'écris pas un livre, dis??

McDoodle a dit…

Hostie ! D'os tue.