jeudi 15 janvier 2009

Carnet de route 9

La route me manquait. J'avais hâte de reprendre le volant et de m'enfuir d'ici. Peut-être parce qu'à l'arrivée, il y avait toi. Toi et les champs de poudreuse folichonne dans les vents glaciaux venus de l'ouest. Les bourrasques malmenaient ma Trixoune qui peinait à rester droite à cause des lames de neige amassées au milieu du chemin. De grandes langues blanches qui s'enroulaient autour des douze roues pour se déposer en dunes granuleuses sur la double ligne jaune. Je me sentais en apesanteur lorsque je roulais à travers elles, et l'adrénaline de la peur me faisait hausser la voix. Je chantais pour conjurer le vent. Je quittais parfois la route des yeux pour regarder les vagues immenses se fracasser sur les éclats fendus des rives. Les morceaux d'icebergs charriés par la marée avaient l'air sombre sous les coups de dents de l'écume. Ils étaient si beaux, ces rouleaux furieux qui remontaient en gerbes sur mon passage. J'avais les jointures blanches sur le volant, et l'impression de dériver vers toi.

À Matane, quand mes clients m'ont vue arriver, ils se sont tous écriés: Miléna! Tu as réussi à passer!

J'aime bien qu'ils disent "passer", au lieu de venir, se rendre, ou arriver. J'ai souri. Oui, je suis passée.
Tu as du courage.
Non.
De la volonté. Et un amour déraisonné pour le Fleuve et cette route qui l'épouse.

J'ai voulu m'arrêter vingt fois pour prendre des photos, mais le froid intense et les congères dangereuses ont freiné mon envie. J'aurais voulu te montrer les blocs translucides alignés à égale distance les uns des autres sur la berge juste après Sainte-Flavie, le rocher à la croix dans mon anse préférée, la grange décatie dont les portes étaient sorties de leurs gonds sous l'assaut du vent, les nuées de tempête au retour vers Rimouski, qui engloutissaient l'horizon, le jour et la ville entière. J'aurais voulu pour toi les bois de grève, les cabanes de pêche posées sur les glaces épaisses, les dégradés de blancs, de gris, de bleus, la route disparue, la fumée vivante des maisons dans la grande courbe et les éoliennes épivardées dans les rafales.

7 commentaires:

Gomeux a dit…

Wow.
J'étais là la semaine passée et pourtant...
Merci.

Mek a dit…

Si t'existais pas, ça serait poche, Internet.

Doparano a dit…

je t'aime Milou!

Fefille a dit…

... le Bas me manque, tout d'un coup.

Merci pour la carte postale !

Perséphone a dit…

Ça me fait rêver. Seulement vu cette région au printemps ou l'été...J'ai lu un peu ici et là, et j'aime tes écrits. Merci!

Miléna a dit…

merci, tous. Je pensais tellement à vous!

Miléna a dit…

Ah! Et Perséphone, salut! Reviens de temps en temps, alors. Je suis allée chez toi aussi, te rendre la politesse. J'aime tes écrits aussi.