samedi 7 novembre 2009

Le maudit passé

On voudrait pouvoir le bichonner en paix, le garder pour soi dans un pli, scellé comme nos lèvres sur sa lueur. Secrète. On voudrait qu'il se taise, qu'il se taise ou alors qu'il remonte fugacement dans les grognements de notre ventre quand on est seul. Parce qu'on ne le laisse jamais revenir au milieu de la nuit quand l'autre dort enroulé dans nos draps, la bouche ouverte sur notre épaule. On voudrait qu'il nous appartienne comme une lettre intime bourrée de ratures, mais écrite à l'encre rose avec une date effacée par la trace baveuse d'une goutte de café. Ou même d'une larme. On voudrait qu'il ne définisse jamais notre présent. Qu'il soit une piste, oui, un chemin de cordes arrimées à des oeillets plantés dans le roc pour que l'autre remonte jusqu'à nous. On voudrait qu'il soit un guide, pas une fatalité.

On voudrait que jamais il n'empêche le futur d'advenir. On aimerait ne pas avoir à le justifier. Qu'il ne laisse pas de lourds bourrelets de terre glaireuse sur les seuils qu'on ose franchir et qu'il faut nettoyer comme en s'excusant d'avoir, à une époque, pataugé dans les mares. On voudrait ne plus avoir à le déshabiller à chaque fois qu'on oserait le corps de l'autre. La nudité de l'autre. Sa nudité. Et la nôtre. Exhiber son corps ou son âme? Impossible de se retrouver nu à cause de lui. Il est une deuxième peau qu'on croit douce et sur laquelle l'autre s'écorche les bras. Il n'est une paix que pour nous.

Il n'est une paix que pour nous quand il représente une tempête dans la tête de l'autre. Quand d'une porte pourtant déjà fermée, il se transforme en porte que l'autre nous claque une deuxième (ou une troisième) fois au nez. Quand il prend toute la place, tout à coup, alors qu'il n'a même plus un portrait sur aucun mur d'aucune pièce, alors qu'il est une route comme toutes les routes qu'on prend pour arriver jusqu'à nous. Le maudit passé qu'il faut étendre comme nos bobettes sur la corde à linge, ces morceaux de tissus épars, sexy, délavés ou dentelés, les dessous de nous que l'on montre quand l'autre nous le demande. Ou quand il les voit par hasard en épiant du coin de l'oeil, juché sur le balcon du quatrième voisin. Le maudit passé comme une arme à double tranchant, quand ce qu'on tait devient mensonge et ce qu'on dit, une vérité dérangeante.

Alors quoi?

QUOI!

Qu'est-ce qu'il faut faire?

Éviter de dire qu'on a existé?

3 commentaires:

Mek a dit…

Je crois qu'il faut surtout éviter de trop donner à des morons amnésiques en pleine crise de permutation téléschizophrénique. Mais je l'admettrai volontiers, c'est là une vaste tâche.

Ton passé, c'est un trésor inouï.
Porte le plutôt comme une couronne, comme un saphir au milieu du front. Brandis-le !

Que les croutesques croquants indignes d'une réflexion de deuxième année rampent dans la fange à tes pieds, ils ne sont pas dignes d'avoir une opinion sur ta vie (présente, passée, future), de te rouer d'inquisitions primitives, ou de tacher ta peau de leurs glauques humeurs.

Miléna a dit…

Ahahahah! Tu me mets vachement de bonne humeur ce matin, diable de bourrichon véloce!

N'empêche, il me reste un fond de fulminement. Je vais me faire un second café, tiens.

uovo a dit…

Parfois je me dis que le passé n'existe pas, qu'il est si étroitement imbriqué au présent et au futur, qu'il se perd dans tout ce que je suis, sans la moindre indulgence. Je me dis qu'on ne peut aimer ou détster ce que je suis au présent sans aimer ou détester mon passé. Impossible qu'il en soit autrement.
Alors, je ressens une véritable et immense liberté, la plus belle en fait qu'il me soit donnée. Celle d'être moi à tous les temps.
Tu es très belle.