dimanche 23 mai 2010

Au Cap 25: 61 B, chemin de la Grive


Une grive a élu domicile derrière la cabane du fond de la Clairière-des-Sorcières. Son adresse est le 61 B, Chemin de la Grive. Logique. L'espace entre la vieille bicoque mystérieuse et la seconde Dompe-à-Roland lui est depuis entièrement réservé. Dès l'aube, elle nous sonne les roucoulements du réveil à intermittence et on la voit ensuite passer en trombe à toute heure du jour. Ses battements d'ailes ressemblent à ceux d'une chauve-souris. Le silence qu'on vient recueillir en travaillant dans le sous-bois est continuellement hachuré de sa voix de grelots. Mignonne comme celle d'une âme qui viendrait s'immiscer dans notre cou en griffant de ses pattes minuscules la petite peau tendre exposée au soleil qui filtre entre les vinaigriers.

Le Cap est réveillé. La rivière montre son visage un peu chiffonné d'avoir soutenu tout l'hiver les vieux trembles et les cèdres éclopés qui ont rendu l'âme dans ses bras. Les Montagnes-des-Coyotes éclatent en petite verdure tendre, la terre a soif, les cabanes sont presque vides du bois qu'on avait cordé pour alimenter la truie. Les chevaux sont revenus au pâturage, l'abreuvoir des colibris a repris sa place devant la fenêtre de la cuisine, la marmotte chafouine a déménagé ses pénates dans la corde de bois, là-bas, dans le sous-bois à Godin. La table est installée au soleil. Le potager a une nouvelle clôture en treillis. Les chevreuils ont labouré les tulipes naissantes de leurs grosses dents voraces alors on s'est vengé en transplantant les bulbes ailleurs, pour voir. L'espace est rempli des cris des mômes qui jouent à la cachette progressive. Impossible de les retrouver alors qu'ils bougent continuellement sur ce terrain de jeu immense. On les laisse courir en profitant de la chaleur sur le balcon le temps d'un verre de rosé, entre deux corvées qui n'en sont pas vraiment.

Sinon, pour passer du coq à l'âne, j'ai arrêté de fumer. Mon corps est un gouffre, ma tête est un ravin et mes mains sont des paluches maladroites qui cherchent comment aspirer autre chose que de la boucane. J'ai jeté mes cendriers, mon briquet, mes allumettes et je me propulse dehors à la moindre occasion. Je dors mal, je bouffe une botte de céleris par jour, je sors sur le balcon respirer, je me mords la petite peau des pouces, je claque une porte ou deux à l'occasion, je pleure subitement pour un rien ou pour tout. Je quitte la fumeuse en moi en l'abandonnant partout, mais surtout au bord du Fleuve. Je suis très fière de moi. Je peux l'admettre?

L'espace habité par la Grive était celui qu'il me restait à apprivoiser.

12 commentaires:

Mek a dit…

Oh babe ! Lâche surtout pas quand ça deviendra plus facile. C'est le pire moment. Tu écris, comme toujours, magnifiquement.

Doparano a dit…

Je suis fière de toi monamie. Mon père te dirais de te noyer à boire de l'eau. C'est, semblerait le meilleur moyen. Lâche pas. xxxx




Code de vérif: FredL

McDoodle a dit…

Courage, tout va bien aller !
Ça me grise ton texte.

Anonyme a dit…

Certainement, sois fière de toi! Et pour cette habitude que tu délaisses, et pour ce magnifique texte.

J'errerai ici un peu ce soir. J'adore cette fine lecture que je viens d'y faire.
Au plaisir!

Miléna a dit…

E, Dopa, Doodle: je tiens encore le coup. Merci de vos encouragements. On dirait que j'ai 5 ans et que je chante en solo pour la première fois tellement j'ai besoin qu'on me dise bravo.

Ment3use: Bienvenue ici. Ravie si tu t'y plais. Tu vas voir, mes compagnons blogueurs sont chouettichons.

Mercurius Mendax a dit…

Moi j'essaie de commencer, mais personne ne m'encourage.

Mek a dit…

Mendax est de retour ! Sonnez sous-bois ! Raisonnez fées clochettes !

Miléna a dit…

YAY! MENDAX!

Contente de te lire! Reviens vite!

Anonyme a dit…

Bravo..!


David

piedssurterre a dit…

Mil, Tu as toute mon admiration, moi qui ai tenté d'arrêter de fumer tant de fois sans y parvenir jamais.
Et tu écris si bien, c'est un tel bonheur de se laisser bercer par tes mots et les images si précises que tu sais faire vivre. Me voilà béate d'admiration deux fois !

Miléna a dit…

piedssurterre: Ouais. Je te comprends. Faut être prête et s'y tenir, accepter de se sentir bizarre pendant un temps; de se sentir mieux pour tout le temps, aussi... :0)

Juste à penser repasser par le sevrage est suffisant pour que je ne veuille jamais recommencer. Mon mal de gorge est disparu, j'ai une énergie débordante, je me suis payée une nouvelle tête avec les sous que j'aurais dépensés en clopes. Je n'y vois que du positif; tu y arriveras un jour, quand tu en auras vraiment marre.

Merci de passer ici!

Éléonore a dit…

Bravo ! le pire étant de prendre la décision, chaque jour sera moins pire que le précédent et un bon matin ce sera fait pour de bon :)