jeudi 10 octobre 2013

Mesurer l'étendue des ombres

Pendant qu'elle te baise tu revois en flash-backs cette grotte que vous aviez trouvée malgré l'entrée dissimulée par les broussailles auxquelles s'accrochaient encore de minuscules morceaux de chair sur les épines sèches. Vos semelles roulaient sur les pierres rondes dans la montée, jusqu'à ce qu'elle glisse et se fracasse les genoux contre une faille assez grande pour laisser passer un homme. Un hasard. En t'écorchant les épaules dans le goulot crayeux, tu as été surpris de découvrir un antre immense, sculpté dans la pierre et envahi d'âmes dont les pouces avaient laissé des empreintes sur les murs. Un abri souterrain mais ouvert à son extrémité sur l'horizon palpitant des feux qui embrasaient le maquis. Planté devant ces aurores mouvantes, les cils engourdis par la poussière âcre portée par les vents de la mer, les semelles accrochées à la paroi, tu sentais la texture anguleuse de la pierre et tes doigts égratignés par une emprise vide. Elle était juste là, debout à tes côtés, les cheveux emmêlés aux perles de sueurs qui luisaient sur son cou. Muette. Tu trouvais les contours de sa silhouette émouvants dans le jour déclinant. Ta main avait quitté la roche pour agripper sa hanche, et les échos de ses soupirs avaient rebondi sur les murs pour te revenir dans les tympans comme les rythmes hallucinants d'un djembé. La nuit vous avait laissé couverts de morsures, de salive et de sperme, le dos éreinté et les fesses marquées par la rudesse du sol.

Cette image lointaine te permet maintenant de mesurer toute l'étendue des ombres qui cantonnent depuis des mois le son de sa voix à la stricte portée d'une larme que tu vas chercher, du bout de la langue, sur la commissure de son oeil à demi-fermé. Comme si tu ne pouvais empêcher le sable de rayer sa rétine. Ta bouche est plombée par une pâte dans laquelle tu moulerais volontiers ses seins pour fossiliser le détail de ses mamelons, les poils blonds qu'elle n'arrache pas par superstition et ces sillons graveleux sur lesquels tu aimes t'attarder. Son corps transporte des frémissements qui t'émeuvent parce qu'ils rappellent la force qu'il manque à tes bras pour te hisser par la cheminée érodée des siècles de silence. Ton haleine est galvanisée par l'angle de la lumière d'un feu sur les mèches qui caressent ton torse, tu te casses le cou pour en voir les volutes sur le plafond de ta chambre ou colmater les craques du plâtre qui s'effrite. Tu respires entre ses cuisses en laissant la buée s'accrocher aux grains de beauté qui forment des chapelets émiettés. Ses ongles incandescents chassent encore les traces baveuses des autres sur ta peau. Toutes les odeurs animales te remontent à la gorge et c'est en formant un étau autour d'elle que tu peux enfin pénétrer les couches sépulcrales qui la retiennent de t'aimer comme tu l'avais aimée, dans cette grotte troglodyte suspendue.

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