samedi 12 janvier 2008

Réminiscences 5

Il enterrait des fossiles dans la cours pour expliquer à ses enfants la fonte des glaces et l'enfouissement des espèces qu'on ne retrouve que des années plus tard. Il disait qu'il suffit d'avoir un balai et une petite pelle, et de creuser juste là pour trouver le passé. Il faisait des feux de bois très tôt en saison, fermait toutes les lumières et il restait assis des heures à méditer devant les flammes qui léchaient les bûches hurlantes dans la cheminée, les jambes étalées, chevilles croisées, en grignotant parfois des juliennes barbecue ou des bonbons-sandwitche à la réglisse noire. Sa chemise prenait alors l'empreinte de la sève et sa barbe gardait toutes les odeurs du jour. Il jouait volontiers du tisonnier, mettait de la musique en faisant grincer l'aiguille et il faisait monter sa fille sur ses pieds pour danser en rond sur le tapis en tenant ses poignets très fort pour ne pas qu'elle tombe. Il connaissait beaucoup de tout sur tout: sa tête était pleine d'informations utiles et inutiles glanées dans les pages des encyclopédies qui recouvraient presque tous les murs de sa maison, il tournait sa moustache constamment quand il réfléchissait et il arpentait le corridor du salon jusqu'à la chambre à coucher pour laisser les idées frayer en sautillant. Il ne haussait pas souvent la voix; il disait qu'on peut très bien entendre les choses dites tout bas, les plis de ses joues se dérobaient plutôt quand il était en colère. Ses yeux devenaient des glaciers.

Les mares de nénuphars se transformaient en îlots pour les princes et les rochers recouverts de neige cachaient les maisons d'elfes sauvages qui dormaient tout l'hiver. Ses petits marchaient alors sur la pointe des pieds, le doigt sur les lèvres, les éclats de rire pris dans le ventre pour cause d'interdits. Il épluchait les roses en embrassant sa femme une main posée en coupe sur son épaule. L'été, il jouait aux dominos des après-midi durant, une bière appuyée sur la bedaine, un chapeau sur les yeux au grand soleil. L'hiver, sa langue claquait pendant qu'il récitait des poèmes en se pavanant l'index en l'air vêtu d'une grande veste de laine brune, les jeans en bas des hanches, ses cheveux frisés aux épaules. Il levait toujours les yeux vers les étoiles en pointant leur nom; il visait l'infini pour lui-même et les autres.

8 commentaires:

Alice Méthot a dit…

Miléna, t'as les mots et le coeur pour raconter. Moi j'ai hâte de lire ton premier roman.

Gomeux a dit…

J'aimerais ça que mon fils dise ça de moi un jour...
Ça me frais brailler.

Doparano a dit…

Cet homme ... Tu le raconte avec tant d'aisance, tu l'a connu de très près, je me trompe?

Pour en parler aussi tendre, faut que tu l'aies aimé et que tu l'aimes encore.

Miléna a dit…

Malice: Je le trouve pas, mon premier roman. Il est coincé à quelque part. Je le cherche. Mais merci pour ça. Je mets tes mots sous mon oreiller.

Doparano: on écrit le plus souvent sur ce qu'on connaît, non? Et oui, je l'aime encore. C'est inconditionnel.

Gomeux: ... peut-être qu'il ne te les dira pas. Mais sûrement qu'il n'en pensera pas moins. Un père, quand même, ça laisse des traces. Que dis-je, de sacrées ornières...

Gomeux a dit…

Hemingway disait ce que tu viens de dire.
Écrit à propos de ce que tu connais, tu l'as déjà ton roman.
Laisse le aller.

Mek a dit…

Je seconde Gom. Avec ferveur.

Anonyme a dit…

Avec ton immense talent tu réussis à tracer son portrait...

Évidemment, j'ai versé quelques larmes en me souvenant.

Je t'aime très fort.

M'man

Doparano a dit…

Un jour, Madame M'man, vous irez au lancement d'un magnifique roman sorti tout droit des trippes de votre fille. C'est écrit dans le ciel ça. Et ce jour là, on sera sûrement plusieurs avec vous à avoir une petite larme au coin de l'oeil.