dimanche 5 octobre 2008

Au Cap 9: La grange à Roland (à Godin)

Roland avait décidément un très curieux esprit... Très troublant, même. Il nous hante depuis des mois. Pas comme un être malfaisant ni trouble-fête, mais plutôt comme un aura qui s'éparpille en ricanant discrètement. Sa présence est suspendue dans la canopée. Il habite les histoires qu'on raconte aux enfants à l'heure des repas. Nous avons fait de lui un personnage central de l'espace que nous habitons. Normal. Il y a vécu toute sa vie. Depuis que mes amis ont acheté son domaine, nous continuons à travailler la terre en espérant qu'il est d'accord avec ce que nous en faisons. Mais honnêtement, nous ne sommes pas inquiets. Son territoire est entre bonnes mains.

L'autre soir, alors que la maisonnée dormait, B* et moi avons décidé d'aller explorer la grange qui est sur le domaine. Elle ne leur appartient pas (encore), aussi fallait-il être discrets et nous cacher de Ti-Loup, le voisin écornifleux (mais néanmoins très gentil). Nous avons donc pris la lampe frontale, une lampe de poche et une bouteille de rouge, puis nous avons trottiné jusqu'à la planche amovible qui forme un accès secret à l'antre d'Ali-Baba. L'antre de Roland.

*TENSION DRAMATIQUE*







La pluie crépitait sur le toît de tôle. Dans la lueur des torches, la poussière flottait vers le bas en s'accrochant à nos bronches et à nos vêtements. Je marchais sur des coquilles invisibles. Sur la pointe des pieds, à tâtons à travers l'incroyable fourbi amassé pendant un demi-siècle. Le silence craquait. Les portes s'ouvraient sur des mezzanines, des enclos, des établis, des ateliers. Il y avait un monde, entassé là: vélos, auges, cravaches, poêles, cafetières, bouilloires, tableaux, divans éventrés, bidons vides, caissons de bois, sacs de jute, cadres, tableaux, vêtements de pluie, vestons de ville, bottes de pailles. Des plaques de chars par dizaines, des matelas, des sacs de tabac. Des pinceaux, des outils, des portes échancrées, de la laine minérale, des sceaux vides, des chaînes rouillées. Des crochets suspendus. Des fils de fer au plafond. Des revues pornos qui traînent par terre. Des journaux déchiquetés ailleurs. Un énorme poisson fossilisé. Pas empaillé, non. Roidi par les ans, durci, sans odeur, sans vie, sans yeux mais avec des branchies. Des écailles luisantes dans la lumière. Et collées sur une toile à l'acrylique.

Nous étions repus d'images, tout à coup. Je voulais sortir respirer. Le nez me piquait. J'éternuais. B* m'a assise dans l'escalier, il a ouvert la bouteille de rouge et nous sommes restés là, dans le noir, à écouter les vies de Roland se mêler aux gouttes qui tombaient dans le coin gauche, sur une chaise en cuirette rouge. Nous avons éteint les lampes. L'atmosphère sentait l'humus, le bois mouillé et le renfermé. Roland buvait avec nous. J'ai même senti sa main, je pense, enlever une mèche collée dans mon cou.

Cette grange galvanise les fantasmes, les idées et des dizaines de projets. Elle est immense, solide, pleine et robuste. Elle alimente les discussions devant le feu, tard le soir. Depuis, ils y sont retournés quelques fois, tous les deux, pendant que je faisais des batailles de linges à vaisselle mouillés avec les enfants. J'y suis aussi retournée seule en plein jour pour mieux y voir. C'est un lieu dont on n'oublie jamais la première impression. Une ambiance qui entre dans la peau et dans le crâne. Quand on fera une corvée pour la vider, vous viendrez?

7 commentaires:

Mek a dit…

On y sera croute que croute !

Gomeux a dit…

C'est mieux d'amener une brosse ou un balais?

Doparano a dit…

Es-tu folle? même de jour je ne m,en approcherais pas, je suis terrifiée par ces endroits trop habités.

je trouve que vous avez de bien grosses couilles B. et toi d'y être entré de nuit.

Mercurius Mendax a dit…

Peut-on galvaniser les fantasmes avant de la vider ?

McDoodle a dit…

Oh là là ! Des trésors... une foule de trésors !
Faites bennatention !
: )

Miléna a dit…

Bennatention à quoi, Doodle?

Les autres: Gom et Mac, on prendra vos bras. Do, on te fait faire la bouffe pour tout le monde. Mendax, heu... on compte sur toi pour la logistique. Et pour les jeux de nuit, quand tout le monde est à boutte...

McDoodle a dit…

Aux trésors. De ne pas les briser. C'était en blague aussi que je disais ça. J'sais bien que vous prendrez soin du patrimoine. Have a good time.