jeudi 19 novembre 2009

Au Cap 23: Un méchant carnage

Il est tard. Je veille dans la cuisine, près de la truie que j'ai bourrée en prévision de la nuit. Les enfants dorment, la tête enfouie sous les couvertures. Je suis de garde, ce soir; je leur ai fait cuire un tajine de poulet aux légumes et on s’est pelotonnés sur le grand divan bleu. La Pomponne m’a fait des confidences secrètes pendant que le grand de 14 ans se remettait de sa nuit blanche. Par la fenêtre du salon, je vois le lumignon des voisins allumé sous le porche. Je ne suis pas toute seule. Le grand chaudron crépite sur le poêle. Les gouttes d’eau s’enfuient sur la plaque en couinant; on dirait des bulles de mercure qui se détachent les unes des autres. Je veille parce que je n’ai pas envie d’aller au lit. Je savoure la maison et les heures que je vole à la nuit, peinarde, les jambes étendues sur la chaise devant moi. Je viens de pleurer comme une idiote devant un film pour enfants. Je décante les émotions de l’après-midi.

Il est arrivé un truc horrible à notre forêt.

Un voisin qui vit plus haut dans le Cap a saccagé la montée vers la chute; juste un peu plus haut que la Descente-à-Roland, sur le chemin du pont. On entendait les scies mécaniques, mais on croyait que c’était Ti-Lou qui poursuivait ses travaux d’agrandissement. Quand il est venu chercher mon ami en lui disant : "Eille, viens voir ça! Je pense que tu seras pas content. Y’a des gars qui coupent des arbres sur la terre à Godin! Ils veulent tirer les branchailles dans la rivière", B* n’a fait ni une ni deux et il s’est précipité ventre à terre. Il travaille en environnement, alors il en connaît un bail sur la protection des bandes riveraines, les lois qui régissent les coupes sauvages, sur les glissements de terrain et la pollution des cours d’eau. Et il en connait un rayon sur le Cap. Sa douce et moi aussi. Je sais les centaines d’heures qu’on a passé dans la rivière à consolider les rives et à nettoyer les falaises, je sais l’amour indéfectible qu'on porte aux troncs qui s’élèvent sur nos terres et celles des voisins. Le respect qu'on doit apporter à notre environnement mais surtout la manière de traiter les terres qu'on a la chance de posséder.

Mon ami B* est allé les stopper dans leur élan. Les gars étaient en train d’embarquer un bouleau gros comme ça dans le pick-up. Il était déjà débité, comme un putain de chevreuil qui vient d’être tué et dont on coupe les bois pour en faire une décoration murale. Les trembles couchés saignaient encore sur la terre meuble. Il en avait jalonné des dizaines, le salaud. Des pauvres arbrichons démembrés étalés partout dans le cap. Des sapins gisant aussi, amputés par les scies. Un énorme amas de branchages qui dénature le paysage. Méchant carnage.

Peu de choses réussissent à vraiment me mettre hors de moi, au point où je me fâche à voix haute, je veux dire. Mais devant l'ampleur de ÇA, je leur ai pété une coche. Les gars me regardaient en silence. Le bonhomme avait les doigts croisés sur son gros ventre; il se sentait petit, je pense, devant la réaction en chaîne et les regards consternés.

À ce stade, je m'étouffais. Je me suis poussée pour prendre des photos (qu'on s'empressera d'envoyer à Godin) avec une hargne que je ne me connaissais pas. Je veux qu'elles servent à venger nos morts.








8 commentaires:

Gomeux a dit…

L'horreur!

C'est quoi l'asti de rapport d'aller bûché là?

Mek a dit…

Tabarnakfgh !

M* a dit…

La bonne nouvelle du jour: M. Godin leur colle une mise en demeure, et veut connaître l'opinion de B* sur les essences à privilégier pour le reboisement

Miléna a dit…

Gom: Il a coupé pour améliorer sa vue. À mon avis, il voulait une valeur ajoutée à sa cabane qu'il a mis à vendre, et pas pour des prunes. Crois-moi.

Mac: C'est ça que je dis.

M*: YÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ! Tu fais ma journée! Je savais bien qu'il laisserait pas passer ça. Et je suis très contente pour le reboisement. On va aller chercher un catalogue d'arbres? :0)

Une a dit…

Moi aussi je crois que j'aurais pété ma coche... :-) Les malotrus inconscients et egoistes de ce genre ça me met en rogne grave. UNe petite flagellation à la baguette çale ferait pas pour le punir? Et le tajine il était bon?
;-)

uovo a dit…

J'aurais pété ma coche aussi. Et j'adore quand tu pètes ta coche Milena, quand tu deviens louve, lionne face à des connards sans scrupules.
Merci pour tous les arbres de la Terre.



http://www.youtube.com/watch?v=EK-2oET4PIY

Miléna a dit…

L'alou: Pfff. Il est sûrement du genre à aimer se faire flageller. Pas le goût de prendre une chance, au cas où... :0) Et le tajine était très bon. J'avais mis du p'tit miel, du curcuma et plein d'autres épices. J'aime les essais. :0)

Uovo: Tu m'étonnes. Ça fait du bien de se féliniser de temps à autres. (et bravo pour ton usage de l'expression "péter sa coche". Tu l'as parfaitement intégrée).

Cactus , ciné-chineur a dit…

à propos de Féliniser , Miléna , quel beau film , non ?