jeudi 18 février 2010

Monsieur C. (Miroir à Charlie Grogne)

Monsieur C. est un être redoutable. Lorsqu'on le rencontre pour la première fois, on remarque d'abord ses yeux clairs, sa bouche aux lèvres sensuelles, ses mains de pianiste. On se laisse séduire par sa voix radiophonique d'animateur de nuit. Il semble nanti d'une culture générale idoine à sa profession et de passions multiples dont il remplit ses soirées et ses week-ends. On ne peut qu'abonder dans le sens de ses jugements qu'on trouve éclairés, on craque pour le tonus de sa conversation et pour le charme qu'il laisse glisser sur les bras des femmes.

Monsieur C. est en réalité un imposteur. Quand on le connaît mieux, sa prestance se change en snobisme et son charisme ne tient à rien d'autre qu'à la suffisance qu'il affiche devant ses pairs. La confiance qu'il dégage ne sert en réalité qu'à dissimuler un être profondément malheureux dont les misères anciennes autant que récentes sont cachées derrière une moue constante. On découvre rapidement un homme hautain, condescendant et misogyne qui ne s'attache visiblement à rien ni personne puisqu'il anéantit d'une parole cassante toutes les passions dévoilées. Qu'on relate un voyage, un souper fabuleux dans un restaurant 5 étoiles, une virée en camping, qu'on parle d'un chanteur qu'on a vu en spectacle la veille, d'un auteur qui nous a bouleversé, de nos croyances, nos désirs, de toutes les flammes qui peuvent animer la vie, peu importe ce qu'on peut dire, rien n'est jamais ASSEZ. Il descend en flamme toutes les beautés du monde et réduit à néant la plus minuscule tentative de se rapprocher de lui. Il est impossible de l'atteindre, le comprendre, de le "charmer" ou l'intéresser un tant soit peu. Ses passions n'en sont pas puisqu'elles ne servent qu'à dorer l'image que les autres ont de sa vie. Il n'affiche jamais de compassion ni aucune joie sincère. Il semble englouti dans une bulle mauve foncée de désintérêt envers tout ce qui n'est pas luxueux, pompeux et socialement affichable sous des néons grandiloquents.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ni comment il a réussi à se faire aimer d'une femme. Il est improbable de l'imaginer faire la cour, pas plus qu'il n'est possible d'envisager que quelqu'un accepte de vivre sa vie avec un être aussi dénué de vie. Tout en lui déjoue l'amour et l'affection. Il est le plus grand éteignoir que j'aie jamais rencontré.

Je ne lui trouve hélas aucune qualité sinon celle de parvenir à se liquéfier devant les gens qui lui rapportent de l'argent ou de qui il attend quelque chose. Il devient alors mielleux, coulant comme un brie laissé trop longtemps au four. Il serpente autour de sa proie, visqueux comme un larbin mort de trouille, le fiel lui coulant le long du menton pour dégouliner jusqu'aux pieds de celui ou celle qu'il veut prendre dans son filet. Il dissimule sa haine pour arriver à ses fins, puis il retrouve son masque noir, ses pensées fumeuses et sa grogne innée. Il est grandiose de le voir changer de ton et d'attitude selon à qui il s'adresse, passant d'un air sec et totalement désintéressé à une soudaine gentillesse qu'il exprime en ondoyant comme une brume fine. C'est un spectacle désolant qui me lève le coeur.

Je suis heurtée par chacun de ses agissements. Par le ton qu'il utilise pour s'adresser à moi, ses regards fuyants, les soupirs impatients qu'il m'envoie sans cesse au visage, ce qu'il dit de mon travail et de mes passions. Par la manière dont il m'interrompt constamment, par ses rires désabusés et narquois que je reçois comme des gifles que je ne peux pas rendre. Il parvient à étaler sur moi un goudron poisseux qui m'ensuque aussi le coeur. Je dois faire preuve de beaucoup d'abnégation pour ne pas éclater et lui jeter la hargne qu'il provoque en moi, pour ne pas l'éreinter et lui dévoiler tout ce qu'il suscite de colère, d'incompréhension et de dégoût. Si je le faisais, il aurait gagné. C'est hors de question.

Monsieur C. est un homme que je ne peux pas sortir de ma vie. Il est un défi, une constante bataille et un mystère.

12 commentaires:

Charlie Grogne a dit…

Texte magnifique pour un personnage apparemment abject. Comme tu le soulignes si bien, il doit être très malheureux pour afficher une telle suffisance.

Mais je ne peux m'empêcher de te poser la question, car pendant toute ma lecture j'ai eu une petite inquiétude : que signifie ce "miroir à Charlie Grogne" ? Ce monsieur C et moi aurions des points communs ?

Miléna a dit…

Mais non, rassure toi! Aucun point commun. J'ai commencé le jeu du miroir il y a quelques temps, comme pour faire écho à une idée prise ailleurs ou au ton d'un texte. J'ai fait miroir à Mac, Gom', Doodle et toi. J'aurais pu simplement intituler mon billet: "Milena grogne" mais j'ai voulu te faire un clin d'oeil avant que tu disparaisses de la blosgosphère.

bises!

Mek a dit…

J'ai croisé de nombreux monsieur C dans ma vie. C'est bien triste, quand on y songe. Même à pleurer, quoi.

Charlie Grogne a dit…

Tu me vois tout à fait rassuré. Ces miroirs me vont très bien... Merci de m'accorder tant d'honneurs et de continuer à venir me rendre visite si je n'arrête pas complètement. En tout cas, moi, je reviendrai :-)

piedssurterre a dit…

Tenez bon. Continuez à resplendir. Votre lumière intérieure le fera lâcher prise.
J'ai lu aussi vos autres textes.
J'attendais le bon moment pour vous dire que vos textes sont beaux et sensibles.

nina a dit…
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Miléna a dit…

piedsurterre: oui. C'est ce qu'il faut faire, continuer de resplendir même quand un vampire nous mord le cou. :0)

Merci pour vos commentaires. On peut se tutoyer?

Charlie: je reste persuadée que tu ne pourras pas t'empêcher d'écrire très longtemps. Voilà pourquoi je continue d'aller voir tous les jours chez toi. Je suis sûre que tes idées seront plus fortes que ta volonté. :0)

Mac: Je connais aussi une femme sur le même modèle que ce type. Elle est dingotte. J'écrirai peut-être sur elle un jour, même si je préfère de loin écrire sur les gens biens que sur ceux qui nous font tourner le bourrichon à un point tel qu'on en perd nos moyens.

p.s : J'ai vu Jarvis à Dolbeau. Il avait l'air bizarre... tu as de ses nouvelles?

piedssurterre a dit…

Bien sûr Miléna ! (Je suis timide, mais je me soigne. Uhm.)

Blue a dit…

Tant et trop de ces gens énergétivores mâles ou females que oui il faut continuer à resplendir et à faire autrement vaille que vaille...

Toujours aussi émouvante ton écriture Milena, et prégnante aussi. Merci.

Unknown a dit…

Madame,
la vrai uestion finalement est, pourquoi ne le sortez vous pas ? J'ai bien compris le coté défis. N'y a t'il pas aussi une dimention "je le sauverai, y compris de lui même ! " ? On ne sauve jamais personne. On s'épuise juste à le faire. Ne croyez vous pas ?
A bientot
Erwan

Anonyme a dit…

Superbe vos textes. Dites-moi Monsieur C, est-t-il le miroir de votre Idalgo ?

Miléna a dit…

Anonyme: Si vous parlez de son exact opposé, sûrement. Je n'y avais pas pensé.

Merci pour le compliment. J'imagine qu'il est inutile de vous demander qui vous êtes?