dimanche 21 mars 2010

Objects in mirror are closer than they appear


J'ai croisé des centaines de corbeaux posés dans les champs grignotés par la neige sale des versants ombrageux. Ils croassaient dans les congères en picorant les mottes de fumier qui dégèlent. La fenêtre grande ouverte, j'entendais leur voix noduleuse et je sentais l'odeur prenante de la merde qui se déplaçait comme les bancs de brume au faîte des arbres fauves. Un chemin boueux menait à une masure framboise écrasée. De la fumée sortait d'une cheminée de traviole, avec des briques dérangées par les vents et le stuc érodé par l'âge. Près du garage, un caveau à légumes écrasé par la dernière tempête de février. C'est un printemps précoce qui m'amène à ralentir et à observer mieux. Je n'avais jamais vu cette fillette blottie entre Rivière-du-Loup et Trois-Pistoles. Je l'ai suivie des yeux pour engranger les images, au risque de rater la courbe et la camionnette de la Croix-Rouge qui arrivait en sens inverse. Le fleuve était turquoise, le soleil planait de biais, mon manteau d'hiver sentait la fin des grands froids qui ne sont jamais vraiment venus.

J'avalais la musique avec des gorgées de café tiède, le volant dirigé par mon genou gauche. Depuis 10 jours, je m'enroule dans les livres pour oublier que je ne dors pas. Je me délecte à la chaîne de 5 piles de romans accumulés dans les dernières semaines, dispersés par genre sur ma table de salon. Entre un vase de bambous et des roses teintes offertes par mes amies. C'est à elles que je pense en roulant, aux personnages qui influencent mes passions muettes et aux phrases qui naissent de moi, que j'aimerais relier par les fils ténus que je ne vois pas encore entre eux.

J'ai des envies secrètes de vacances en solitaire dans une cabane près de l'eau, avec un thermos pour les litres de café au lait, une caisse de vin, la vieille robe de chambre verte de mon père, un laptop sans accès internet, un seul roman pour ne pas trop me perdre ailleurs et toute ma tête pour enfin creuser aux endroits que j'évite par fausse pudeur et par peur. J'aimerais qu'il pleuve pendant deux semaines, qu'il y ait du tonnerre la nuit de la brume un silence effrayant pour que je puisse enfin entendre les voix que je tais parce qu'elles me dérangent tout le temps.

Les ombres tombent dans les anses du Bic comme des huards plongeant. J'entends le plouf qu'elles font en s'étiolant à la surface. J'arrache des battements à mon coeur qui se la joue en sourdine et j'accélère dans la pente pour dépasser le grand-père qui tire un trailer dans la voie de gauche. La marée est basse. Entre la rive et l'île, un champ de roches éparses comme une chair de poule à la surface de l'onde. À force de rouler toujours, je ne sais pas si je m'approche de moi où si je m'en éloigne. J'ai souvent l'impression d'être dans mon angle mort et de devoir tourner la tête pour me voir passer en trombe comme une ombre insaisissable. Je cherche la réponse autant dans les livres qu'ici. J'imagine qu'elle est plus proche que je ne le pense.

6 commentaires:

Doparano a dit…

Je propose qu'on fasse un téléthon pour t'offrir un chalet, un thermos et une caisse de vin au plus crisse!

Mek a dit…

Je fournis le vin et le chalet.

McDoodle a dit…

Cherche pas, go go go !

Jérôme a dit…

Ce texte, ce blog, fuck, tout ça est merveilleux. C'est comme mes rêves étalés dans une prose saisissante.

Miléna a dit…

Dopa et Mac: Vous êtes chous. J'ai entrepris les démarches pour un lave-auto et des cartes à gratter. Le vin est pas essentiel mais bon. Je me dis qu'en vacances, ça peut le faire...

Doodle: C'est comme dans la vie: ça fait 3 ans que je cherche et j'ai l'impression d'avoir intégré des choses seulement hier. Fini de chercher. J'ai vu le lien et c'est comme si je respirais enfin dans un tuba débouché.

Jérôme: Salut! Rêve ici ou ailleurs. Chez toi, c'est une anti-chambre aussi. Reviens quand tu veux.

Gomeux a dit…

T'es drette là.

Chaque fois que tu parles de ma région natale, je la vois avec des atours que je ne lui soupçonnais pas, ce n’est pas rien ça, madame.

Et pis, moi aussi je voudrais un laptop pas d'internet. Qu'on en finisse.