lundi 1 septembre 2008
Pongwa
Je regardais à travers un étrange miroir les couleurs distillées par les lampes lorsque m'est soudainement apparu un curieux personnage coiffé de paille. Dès son arrivée, les rouges ont fondu pour laisser place à des langues mouvantes et glacées; la chaleur confortable du studio s'est mué en une fraîcheur désarmante. J'ai sursauté devant ce bougnoule au faciès grimaçant. Il avait l'air hargneux et il grognait dans un patois inaccessible des propos vindicatifs, en brandissant son poing noir et affûté derrière la surface étamée. Je me suis cachée derrière la table en sautillant d'effroi et en hurlant, je dois l'avouer, presqu'autant que quand je marche pieds nus sur un cadavre de canard (ou de poisson envahi de lentes grouillantes) sur la grève, au Cap.
En m'entendant m'égosiller de la sorte, mon amie s'est précipitée hors de la salle de bain pour venir voir ce qui se passait. Mon visage blême et mon doigt tremblant pointé vers le miroir l'ont tout de suite alertée et elle s'est retournée d'un coup en criant à son tour (mais de ravissement, cette fois): " PONGWA"!!! ENFIN!"
Pongwa?
Enfin?
Je me cramponnais toujours à la chaise que je m'apprêtais à lui balancer au visage au premier signe intempestif de sa part. Mais mon amie s'était accroupie et, le nez collé au miroir, susurrait dans un patois incompréhensible à l'oreille biscornue de ce laideron. Elle frottait même son nez contre le sien, un sourire épanoui sur le visage, les yeux brillants comme si elle retrouvait un frère.
- Viens, Mil, que je te présente Pongwa.
- Euh... nonon, je préfère rester ici si tu veux bien.
- Allez! Fais pas ta chochotte. Pongwa est un vieil ami. Il est pas dangereux, au contraire!
Je me suis approchée en traînant les talons sur le tapis. Je suis restée derrière elle en cherchant une cigarette dans ma poche.
- Ne fume pas, il déteste ça...
- Oui, ok. Mais c'est QUI, lui?
- J'ai rencontré Pongwa en Afrique il y a 12 ans. Son nom veut dire "Guéri". Il a été appelé à mon chevet quand j'ai attrapé l'infection qui a failli me tuer. J'ai fait un choc sceptique hallucinant, je t'en ai déjà parlé. Sans lui et son pouvoir de guérisseur, je n'aurais jamais survécue. Il a éloigné la fièvre en une seule nuit. À travers mon délire, j'entendais ses imprécations et je sentais ses mains sur mon front. Il a tourné autour de moi pendant 15 heures sans s'arrêter, et quand je me suis enfin endormie, il est reparti d'où il était venu. Puis il est revenu me voir le lendemain soir, puis 2 jours après, et il redescendait de temps à autres de son refuge pour venir me raconter ses légendes ou seulement m'écouter parler. Depuis que je suis revenue ici, il apparaît sans crier gare pour venir voir si je vais bien. Il est très gentil, Mil. Il a seulement cru qu'il s'était trompé de miroir en ne me reconnaissant pas.
J'ai regardé mon amie. Puis le bougnoule. Et encore mon amie. Et je lui ai demandé:
- Ton Pongwa, il guérit les coeurs aussi? Ou seulement les corps?
- Mets ta main sur le miroir et parle lui. Tu verras bien.
Et je me suis retrouvée assise sur mes genoux devant un miroir déformant, à raconter mes affres et mes fariboles à ce personnage surréel. Il a collé son nez à la surface, a soliloqué pendant un moment, et il y a eu cet instant de flottement où j'ai bien cru que rien ne se passerait. Puis il a tourné très vite sur lui-même une douzaine de fois et il est disparu sans faire de fumée ni même de bruit. Les couleurs se sont réchauffées et en même temps, j'ai senti des dizaines de poids morts quitter mes épaules. Tout à coup, j'avais quelques réponses et une ou deux certitudes. Woah... Pongwa. J'avais toujours la main sur le miroir. Mon amie me regardait en souriant, appuyée sur le cadre de porte derrière moi.
- Si je te l'avais dit, tu ne l'aurais pas cru, non?
- Non.
- Et voilà. Maintenant, tu sais que ça se peut. Viens, on va prendre un verre.
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4 commentaires:
Tu peux lui demander de passer par le Languedoc dans les prochains jours ?
:0)
&: C'est déjà fait. Surveille ton miroir, mais ne fais pas le saut. Il devrait arriver bientôt. Tes côtes fêlées seront un mauvais souvenirs dans quelques heures. :0)
Ouh!
Sans niaiser, je venais ici, fiévreux, je commençais le texte, puis j'arrêtais, pas capable de me concentrer.
J'aurais dû me forcer.
j'aimerais bien qu'il revienne me visiter demain... J'aurais besoin de lui, s'il passe par chez toi, dit lui qu'il connais son chemin, je l'attends...
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