mardi 23 septembre 2008

Soliloque

Devant l'hôtel où je crèche pour les prochains jours, je viens de voir une fille sortir de l'auto en disant à son chum: "À c'te nuitte" en soupirant telle la pierre se fend (?). Pas un regard tendre, pas une caresse du bout du doigt, pas un bec, rien. Et elle a claqué la porte. Il a démarré sur les chapeaux de roues avec sa vieille Cavalier bleue rouillée.

Hier, au resto, je regardais de temps en temps un couple qui soupait ensemble. Lui avait la tête perdue dehors, elle reluquait sérieusement le serveur. Moi aussi, vu qu'il était splendide tel le mannequin dans une annonce de plein air, le cheveu en vaguelettes indisciplinées, le regard sombre comme la nouvelle lune, le corps dompté aux escapades comme aux escalades. Sa posture était une invite à passer le plat de la main de sa nuque jusqu'à la ceinture, et même en dessous, si vous voulez mon avis. Mais n'empêche. Ils étaient assis face à face et ne se disaient pas mots qui vivent, elle et lui. L'emmerdement extrême du couple qui s'en torche.

Idoine situation avec ce jeune père qui sort sa fille un dimanche matin. Elle est rousselée comme les elfes des bois, en salopette bleue et tee-shirt rayé, bas assortis, barrettes en coeur dans les cheveux. Elle pioche d'un pied sur son tabouret pendant que son père lit le journal en sapant son café au lait en bol. Elle boit son chocolat chaud à la paille et je lui fais une sorte de clin d'oeil (en autant que faire se peut) parce que je faisais pareil quand j'avais son âge (c'est vrai que ça goûte meilleur). Il lui a adressé quatre mots: "kesse tu veux manger?" et j'ai été surprise qu'il ose ajouter une ponctuation. Il l'a laissée manger sa crêpe au sirop toute seule, les yeux au plafond, grognasse d'ennui. De temps en temps elle se tournait la mèche. Elle a même dégringolé du banc avant qu'il ne se souvienne de sa présence.

La semaine passée, je suis allée chez un couple d'amis. En arrivant, la guerre pogne (pardon, mais c'est le terme) entre ces deux-là, elle hurle, frappe dans le mur, se cogne contre la table du salon, me regarde, s'excuse et se remet à lui crier dessus. Elle court s'enfermer dans sa chambre. Lui reste là, planté dans le salon à chercher en vain un cd potable à mettre; je crois qu'il hésitait en ACDC et Aimée Mann. Savait plus trop à quels saints se vouer. L'air puait la querelle. J'ai dit: "Heu... tu veux que je revienne un autre jour?" et il a dit: "Ouais, je crois que ça serait mieux". Aujourd'hui, ils en sont au même stade, j'ai vérifié. À peine s'ils se marmonnent bonne nuit en se couchant. D'ailleurs, je me demande même s'ils dorment ensemble.

Je suis très attentive à ce qui tisse les gens entre eux. Je remarque beaucoup les silences, les regards, les postures. Je vois un homme rouler loin devant sa blonde en vélo, la laissant peiner toute seule dans la Grand-Côte de la Miche, sans l'attendre pour la motiver. Le vieux qui repousse la main de sa femme en bougonnant qu'il peut y arriver tout seul alors qu'elle veut seulement lui dire qu'elle est toujours là. Derrière mon livre ouvert, discrètement, ou en faisant mes courses, plus ostensiblement, j'espionne parfois les conversations, et c'est l'absence de mots qui me sidère. Quand on en arrive à l'indifférence, quand le moindre geste pèse, quand on s'enferme derrière 1000 raisons de tout ou de rien et quand le bonheur revient quand l'autre part, je me dis: "Merde". J'ai beaucoup de difficulté avec les non-dits, mais encore plus avec les ruptures, et tout ce qui fait qu'on s'éloigne de ce qu'on croyait si proche. Je ne termine pas mon idée ce soir. Je la mets en ligne comme ça, pour éviter de ne rien dire, encore...

4 commentaires:

Gomeux a dit…

T'as bien fait de ne pas rien dire.
Moi ce qui me tue, c'est les chicanes que t'as même pas le gout d'empêcher, pis quand elle arrivent, t'as même pas le gout que ça aille mieux après.

D'habitude, c'est signe que c'est le temps de se parler...

Mek a dit…

Tu décris l'enfer des morts-vivants. Voilà ce que je fuis, épouvanté. Peut-être pour ça que je suis devenu, depuis des années, cambrioleur.

Je sers à nettoyer tout ça, comme les poissons gluants qui vivent de la crasse sur les parois des aquariums. Eh.

Doparano a dit…

Je me reconnais un tit peu pis ça me fait crissement chier à matin!

Bonne journée pareil.

Fefille a dit…

... ah ouin ? un homme qui roule à vélo dans la grande côte de la miche ? c'est par che nous ça !

Mais bon, oui, les non -dits dans les ruptures ça blesse même de l'extérieur d'un monde qui ne nous appartient pas.