samedi 1 août 2009

S'envoyer en l'air

Cinq ans sans prendre l'avion, c'est long. J'adore ressentir l'excitation du voyage, quand je sais que la journée sera longue et qu'en arrivant à destination, il y aura ces odeurs qui me fouetteront quand je poserai le pied (droit) sur le tarmac. J'ai l'habitude de m'arrêter un instant pour fermer les yeux et respirer la première bouffée des vacances. Rituel pour me débarasser du quotidien pendant que mon corps absorbe la moiteur du sud.

L'ado à côté de moi était terrorisée par le décollage, les turbulences, le soleil qui entrait par le hublot (qu'elle m'a demandé de fermer alors même qu'on survolait les côtes cubaines alors là, pas question ma vieille!), et par l'atterrissage dans l'orage. Elle serrait la main de sa mère, une moustache de sueur au-dessus de la lèvre supérieure, les yeux serrés dans le treillis à côté du petit sac blanc en papier et de la brochure de Canjet. Pauvre chouette. J'avais mon livre ouvert sur les genoux mais je préférais profiter de la sensation exquise de traverser les nuages. Pendant les turbulences, j'avais envie de lever les bras comme dans le Monstre et d'hurler de joie, mais je me suis retenue. Je me suis contentée de sourire en regardant l'aile droite de l'avion tressaillir dans les grands vents. De regarder la rivière Hudson se dorer sous le soleil de la fin d'après-midi, les lacs des Caroline, les circonvolutions des villes, les autoroutes en forme de fleur, les bateaux qui laissaient leurs sillons en V comme des envolées d'oies sauvages. Les petits moutons, les rayons obliques, les arcs-en-ciel, puis les rivières sinueuses, les deltas comme des dessins recherchés, des enluminures. Je prenais des photos et je les montrais à l'ado qui se rendait compte que son vertige lui faisait rater des beautés naturelles sidérantes.

Elle disait: Tu voyages toute seule?
Oui.
Tu n'as pas peur?
Peur? Peur de quoi?
D'être avec moi-même?
Non.

Fût un temps où je n'aimais pas être toute seule. Mais plus maintenant. Il n'y a jamais de silence dans ma tête. Tous ces dialogues avec mon alter ego, entre celle que j'expose au monde et son ombre, ces blagues échangées avec la chipie tapie dans un coin de ma tête, les commentaires sulfureux, les grossièretés cachées, les envies qui jaillissent, les craintes fugaces balayées aussi vite. Je vais sortir un énorme lieu commun, mais il est trop véridique pour que je lésine à le dire: voyager seule, c'est apprendre à se connaître mieux. Défier la trouillarde, faire se lever la courageuse, sortir des livres pour observer le monde, sourire ou se refermer, avoir le vrai choix des rencontres. Marcher lentement, s'arrêter quand on veut, prendre une cuite en solitaire sur la plage à minuit, puis se faire sécher nue sur le balcon en regardant la lune. Prendre du plaisir à exister avec soi, se confronter, connaître ses failles et les colmater ou, au contraire, les accepter comme des faiblesses à dorloter puisqu'on ne peut pas toujours être fort et qu'il faut se protéger.

Accepter d'être seule, c'est arrêter d'attendre après les autres. Et c'est quand on arrête d'attendre que les choses arrivent.

















6 commentaires:

M&M a dit…

Bonjour!

Je voulais simplement dire que j'adore te lire. Je vois les images dans ma tête, je sens les odeurs que tu décris.

Et puis, ton texte vient me rejoindre. Je ressens depuis ces derniers deux mois, un besoin incessant d'être seule avec moi-même et de me confronter. Bref.

Merci pour ta plume.

Virginie a dit…

WWWWOOOOOOOOOOOOOOOWWWWWWWWW!
Comme toujours, tu es magnifique.

Est-ce que tu vois clairement le visage de femme sur la deuxième??!! C'est peut-être un signe, il est lumineux!

Gomeux a dit…

Hmm.

Ça fesse.

McDoodle a dit…

Mon voeu est exaucé !
Si agréable de te lire. Hâte de voir la suite.

10-4

Miléna a dit…

M&M: bienvenue! J'ai été moins présente dans les derniers mois, mais je compte m'y remettre. Quand je n'écris pas, je pense que mon moral s'en ressent... Contente que tu aimes. Ça fait du bien de l'entendre. Merci.

Virge: J'ai beau chercher, je ne vois pas ce visage de femme dont tu parles... il est où?

Gom: Ouan. J'avoue.

Doodle: Je cours chez toi revoir tes photos d'Irlande! Mon voeu est exaucé moi aussi! :0)

10-4

Mek a dit…

Splendide. Ça valait le coup d'attendre.
:0)