mercredi 2 avril 2008

Soliloque 2

Hôtel Delta, 21h40. Je surplombe la ville. Je peux m'étaler les bras en croix sur la vitre gelée, de l'oeil droit je vois le fleuve, du gauche un clocher illuminé, en face j'épie ceux qui laissent leurs rideaux ouverts; je vois un vieillard qui se berce et d'ici je peux presque sentir son haleine de peppermint blanche couverte par l'odeur de suppositoire, les oranges, ceux en balle de fusil qui piquent. Il a les lunettes sur le nez, il fait les mots croisés du journal, sa feuille est pliée sur l'accoudoir, il se berce en écrivant il doit dépasser les lignes tellement il se balance trop vite, je suis sûre que sa chaise fait tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac. Comme l'horloge sur le mur derrière lui, dont le balancier rythme le mouvement de son pied qui bat le sol. Il a des grosses pantoufles vert olive, sûrement doublées en mouton applati au talon.

Je souffle pour laisser un rond de buée sur la vitre, dans lequel je dessine un jeu de tic-tac-toe. Je fais aussi un bonhomme pendu, ce n'est pas du jeu, je sais que j'ai écrit ton nom c'est le seul mot qui me revient en tête aujourd'hui. Six lettres, autant de voyelles que de consonnes, mes lèvres qui s'étirent en le prononçant et la chaleur de mon souffle qui en efface les traits pour que je le réécrive sans cesse en laissant des traces de doigts sur le verre. Malika ne sera pas contente. Elle croira qu'un enfant mal élevé salope ses fenêtres. Je regarde en bas, la rue est vide. Mon visage se reflète dans le halo laissé par la lampe de chevet et je répète ton nom pour voir de quoi j'ai l'air quand je le dis à haute voix. Mes fossettes ressortent. Des alcôves pour le bout de tes doigts quand tu m'embrasseras. J'ai un sacré noeud dans le dos, on dirait un tison qui me brûle l'omoplate. Je m'appuie sur l'arête du mur en faisant entrer le coin en-dessous de l'os pour défaire les tensions, je penche le cou et je ferme les yeux. Si tu posais tes mains dans mon dos, je pleurerais sûrement de soulagement tellement j'ai besoin qu'on me touche.

Le vieux vient d'arrêter de se bercer. Il a ouvert la télé, sûrement pour regarder les nouvelles de 22h. Dans l'appartement du dessous, une jeune femme rentre du travail, je la vois jeter un coup d'oeil par sa fenêtre tout en rattachant ses cheveux. Elle a un uniforme blanc, ou bleu pâle, je ne sais pas trop. Sûrement qu'elle épie elle aussi les clients de l'hôtel, elle doit surprendre beaucoup de choses qu'on n'entend pas à travers les plafonds et les murs de béton. Elle a ouvert le frigo et elle boit du jus à même le carton. J'ai envie de fumer mais j'ai 9 étages à descendre pour sortir, je ne sais pas quelle idée j'ai eue de demander une chambre non fumeur...

3 commentaires:

Doparano a dit…

Alors... t'as l'air de quoi quand tu dis son nom?

Gomeux a dit…

Content de te lire, m'ennuyais...

Miléna a dit…

Gomeux: merci, t'es fin. Moi aussi je m'ennuyais, mais je n'allais pas assez bien pour écrire. Parfois, y'a des mots qu'il faut laisser dormir quelques jours, histoire de reprendre du poil de la bête. J'arrivais pas à les sortir, ils étaient pris à la hauteur du sternum. Je préférais le silence à la connerie, ou à la colère.

Do: je le lui demanderai... je reviens te le dire...