vendredi 28 novembre 2008

Au Cap 14: D'un ermite







Je ne sais pas pourquoi ces bosquets dans le couchant me font penser à lui. Peut-être parce que sa solitude ressemble aux ciels de fin de journée, quand la lumière mélancolique découpe les arbres dans l'ombre. Son visage est celui de l'automne tardif lorsque le piquant de l'air laisse présager de la première neige. Impossible de dire son âge; il pourrait avoir 60 ans autant que 80. On ignore encore les effets du vent salin sur la peau d'un homme ayant vécu au Cap toute sa vie, les traces laissées par une vie ascétique et les ravages inévitables d'un cancer qui le ronge depuis un moment.

À l'instar de notre Roland, l'Ermite a choisi de s'ancrer à la nature et aux bêtes davantage qu'aux Hommes. Il parcourt ses 32 arpents de terre d'un long pas, le dos légèrement voûté sous sa Canadienne. Il n'est plus que l'ombre de lui même, si maigre qu'on dirait un épi desséché qu'on arriverait à broyer dans le poing. Son épaisse tignasse rappelle les cheveux d'Elvis, sculptés en vagues sombres sur les tempes et le front. Ses traits sont encore bien découpés sous la peau burinée; on peut imaginer quel jeune homme séduisant il a dû être à l'époque où nous n'étions encore que des enfants. Maintenant, son sourire est édenté, son élocution hasardeuse et ses yeux enfouis. Ou enfuis, sous des sourcils épais comme des taillis de garenne.

De la grande baie du salon je regarde parfois les maisons voisines plongées dans la pénombre depuis que leurs habitants ont déserté pour l'hiver. On ne voit que l'unique lumière de sa maison-roulotte briller dans le champ de droite. Cette petite lueur tremblotante me plonge dans une sorte tristesse pour l'univers qu'il habite, que j'imagine désolé et exempt de tout ce qui fait la richesse d'une vie. Je ne sais pas quels sont ses plaisirs ni ce qu'il peut bien avoir à se raconter en lui-même. Se contenter de si peu est bien loin de mes idéaux, aussi je n'arrive pas à comprendre ce qui fait qu'on se replie sur soi avec pour seule compagnie une meute de chats. Le pire, c'est que des 42 félins qui partageaient son toit, seuls 7 d'entre eux ont survécu à l'appétit des coyotes.

Il l'a raconté de vive voix à mes amis M* et B*, qui ont poussé la ballade jusqu'à sa porte en fin de semaine dernière. Ils ont bien senti que c'est un dur coup du sort pour lui. Ils lui ont tendu la main, bien sûr, ne serait-ce que pour qu'il sache qu'il ne sera pas seul au Cap quand la neige aura tout enseveli. Mais il est si peu habitué à la commisération et à la gentillesse que le malaise s'est insinué entre eux en bafouillant. Nous sommes inquiets de le savoir malade dans un endroit si isolé, et curieux d'entendre ce qu'il pourrait nous raconter sur l'histoire du domaine. J'espère que nous saurons comment l'approcher à nouveau.

3 commentaires:

Mek a dit…

Marrant, ça me semble presque idéal, comme univers. Ajoute une guitare et une centaine de vrais bons livres…

Miléna a dit…

chuis pas du tout étonnée par ton comm... :0)

McDoodle a dit…

Eh bien, j'allais écrire aussi que je me verrais bien avec une meute de chats et une lumière qui vacille.

Le problème, pour moi, c'est le sexe.

Oh ! Mais finalement, j'ai presque tout ça !

Meow