Simone est une adolescente particulière. Elle ne fait pas partie de ma famille et je ne révélerai ni où, ni comment je l'ai rencontrée. Il suffit de dire qu'elle est dans ma vie depuis qu'elle a 9 ans. Elle a toujours été une enfant assez silencieuse, mais à 13 ans, elle se mure encore davantage, comme si le monde était assez bruyant qu'elle ne veuille pas y rajouter sa voix. Elle marche sur la plante des pieds, les bras quasi immobiles le long de son corps frêle, la tête à demie baissée. Elle regarde donc très souvent le monde par en-dessous,comme si l'affronter de face était au-delà de ses forces. Elle est petite et frêle pour son âge, ses seins minuscules dissimulés sous un tee-shirt trop large ou un gilet à capuchon noir. Son visage est encore celui d'une enfant; elle a un teint pâle et uni que j'envie chaque fois que je l'embrasse, mes lèvres effleurant l'ossature de ses joues si douces. À son âge, j'étais couverte de boutons qui me désespéraient et je n'ai de cesse de lui rappeler sa chance. Ses cheveux châtains sont très fins et une longue frange dissimule son oeil gauche. Quand elle parvient à s'animer un peu en me parlant, elle donne des coups de tête pour libérer son visage, si elle ne repousse pas la mèche derrière son oreille d'un geste répétitif et brusque qui m'agace un peu.
Elle porte des lunettes qui ne lui conviennent pas. Elles lui donnent un air austère et décalé. Elle ne les aime pas, d'ailleurs. Elle les enlève souvent pour se masser l'arête du nez. Elles doivent être trop lourdes.
Elle me rend parfois visite au retour de l'école. Elle se juche alors sur un tabouret devant le comptoir de la cuisine, les pieds sur les barreaux ou un genou relevé sur lequel elle croise les mains. Elle aime bien que je lui parle de mes journées sur la route, des fins de semaine au Cap ou des enfants qui gravitent dans ma vie. Elle réagit à mes blagues avec un sourire pâle; je ne l'ai jamais entendue rire franchement malgré tous les efforts que je déploie pour qu'elle éclate d'un rire qui lui secouerait les épaules et la ferait se taper les cuisses. Elle contrôle tellement ses émotions que cela m'inquiète. Tout en elle est amorti, calculé, réfléchi et posé.
C'est pourquoi les confidences qu'elle me fait revêtent une importance particulière. Je suis parfois déboussolée par la façon dont elle envisage la vie et la rapidité avec laquelle elle juge les gens. Elle ne fait pas beaucoup de compromis. Elle est même souvent très dure, surtout envers ses parents, évidemment, mais ce qui m'étonne c'est son incapacité à partager les activités des jeunes de son âge. Elle a une maturité étonnante qui lui fait sans cesse rechercher la compagnie des adultes, ou l'isolement dans un monde auquel personne (à ma connaissance) n'a accès. Elle réussi bien à l'école, lit énormément et noircit des carnets qu'elle cache ensuite Dieu sait où. Elle en a toujours un dans son sac. Elle va aussi très souvent se réfugier dans les églises.
Cet aveu m'a pris par surprise. Je ne connais pas beaucoup de gens qui vont encore à l'église, encore moins les jeunes. Elle m'a confié s'y rendre non pas parce qu'elle est particulièrement croyante, mais parce qu'elle n'a aucun endroit où être véritablement seule, chez elle. Elle aime l'odeur de l'encens, le silence, le bruit de ses pas dans l'allée, le claquement des prie-dieu quand elle les fait basculer sur le sol, et la lueur des cierges qu'elle allume à la chaîne sans payer. Elle m'a même révélé sans me regarder qu'elle aime se placer à l'avant de l'autel quand il n'y a personne, et qu'à cet endroit, elle ose chanter. Elle n'a pas voulu me dire quoi. Je n'ai pas insisté.
J'ai été très émue qu'elle m'ouvre cette porte sur son intimité. Je lui ai resservi un verre de jus en lui racontant les endroits où j'allais pour m'éloigner de la maison quand j'avais son âge. Je n'étais pas si différente d'elle. Heureusement, les temps changent. Il me tarde de la voir s'épanouir. Tout peut encore lui arriver.
5 commentaires:
Elle me touche ta Simone. Elle me rappelle ma soeur à son âge!
Puisse-t-elle s'épanouir sans entraves.
(ti-sourire en coin )... ouin, l'adolescence, à ses tous débuts, c'est tellement troublants. Ton corps qui est en genre de déclin avec lequel tu sais pas quoi faire, tes pensées qui vont tout croche comme une bille dans une machine à boule... elle est chanceuse de t'avoir dans son voisinage: elle t'en remercira certainement un jour !
J'suis très dacc avec Black.
Bon dosage entre écoute, respect de l'intimité et silence.
Mil, je n'ai plus accès à mon adressbook, ni mes courriels plus anciens... écris-moi stp.
Tks !
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