samedi 21 juin 2008

Laura




Laura fait rouler ses billes dans les rainures du pont. Elle saute à la corde en suivant les lignes du bois, 30 sauts pour aller, 30 sauts au retour, ou alors elle lit assise en indien près de l'entrée des romans qu'elle dévore en mordillant la peau de son pouce droit. Depuis qu'elle est en âge de descendre là-bas toute seule, elle passe ses après-midi à l'ombre, à regarder la rivière sautiller à travers les murs ajourés. Elle s'est construit un univers bien à elle, Laura a la tête ailleurs la plupart du temps. C'est une fillette silencieuse qui fuit les jeux des enfants du hameau. Elle les entends crier et rire dans le parc juste à côté, elle les voit grimper aux branches basses des arbres qui déroulent leurs grands bras à la surface de l'eau pétillante. Laura préfère se hisser sur les murs de son abri couvert, elle ne sent plus les échardes qui entrent dans ses genoux. Elle est forte, Laura. Elle vient d'avoir 10 ans.

Elle partage son refuge avec des oiseaux qui nichent là-haut. Elle s'étend parfois au milieu du pont pour les regarder voltiger d'une poutre à l'autre. Elle aime les taches rouge sur leur poitrine et leurs discussions animées. Elle ne sais pas comment, mais elle les comprend. Elle leur parle doucement la tête penchée vers l'arrière, le dos au sol, les bras en croix. Sa mère ne veut pas qu'elle fasse ça. Mais elle s'en fiche, Laura. Elle pense qu'elle aura toujours le temps de se lever pour se ranger sur le côté, sur cette longue planche où elle marche parfois en équilibre sans même étendre les bras.

Il fait très sombre lorsqu'elle arrive en courant pour écouter l'orage. Il est 4h mais on dirait presque la nuit tant les nuées sont opaques. Elle se couche au milieu et elle ferme les yeux pour mieux entendre la pluie qui claque sur le toit. Elle raffole de cette peur qui lui serre un peu le ventre quand le tonnerre éclate en gros bruits colériques. Elle entend la rivière crépiter, elle sent l'odeur de la boue fangeuse du marécage tout proche. Elle est bien, Laura. Le ciel gronde encore, les éclairs se suivent de près. Elle n'entend pas le camion déraper dans la courbe en gravier. Les pneus refusent de mordre les cailloux et le sable détrempé, le chauffeur voit Laura trop tard, il est déjà sur elle quand elle saute sur ses pieds. Il traîne son corps sur toute la longueur du pont avant de parvenir à s'arrêter. L'homme sort en hurlant. Il la reconnaît, sa Laura.

16 commentaires:

Doparano a dit…

je ne sais pas ce que t'en penses, mais c'est exactement à ça que je faisais référence.

J'ai des frissons partout.

McDoodle a dit…

Miléna, tes billets : des lectures qui en valent vraiment la peine (selon moi, bien sûr...).

Mek a dit…

Sale histoire, ça ! Argh.

Gomeux a dit…

Sais pas trop quoi dire, à part la tape dans le dos habituel pour le rendu littéraire.


Je pourrais pas imaginer pire cauchemar.


Et c'est pourquoi je me permet une correction.
Si un jour je frappe mon fils et que je le traine un boutte en dessous de mon truck, quand je sortirai en hurlant, je ne serai pas atterré, je vais être hystérique ou pire.
"L'homme sort en hurlant", ça fesse en criss et l'image est forte, on le voit décoller, absent, ailleurs.
Le mot atterré le ramène une coche plus bas, j'ai l'impression.

Fallait que je le dise.

Miléna a dit…

T'as raison. Je corrige.

Je me demandais t'étais où, Gom.

Gomeux a dit…

Chu là.
Songeur.

Miléna a dit…

pourquoi?

Gomeux a dit…

Je me demandais pourquoi j'aimais pas Paul Piché.
Y est beau pourtant.

Miléna a dit…

parce que sa toune, ben: ON EST PU CAPABLE!

Miléna a dit…

Je pars derechef festoyer à une heure indue.

Gomeux a dit…

Chu de garde.
M'en ouv un autre.
Bon party!

Madame G a dit…

Mais c'est la robe de chambre de ton père qui reste comme la vérité. Tu écris bien, Miléna. Je suis en vacances (ENFIN). Je te lirai mais surtout commenterai plus souvent !

Mélane (oui, ta madame Gé)

Miléna a dit…

MADAME G! Yeah!

si contente que tu sois de retour. Y'avais comme un p'tit trou où j'espérais te voir apparaître de temps à autre.

Jo Jaguar a dit…

Est-ce le pont le plus photographié du canada?

Miléna a dit…

Jo: Non, point! C'est un minuscule pont couvert perdu dans le fond d'un rang de cailloux. Je ne le connaissais pas. Suis tombée dessus en errant à travers champs.

Jo Jaguar a dit…

Dans un roman de Don De lillo, le héros visite un pont devenu une attraction touristique par le seul fait d'être l'endroit le plus photographié des états-unis. Voilà, c'était une private joke entre moi et Don.