samedi 2 août 2008

Prendre l'air- Au paradis des bicoques

La côte est pleine de ces maisons abandonnées. Les gens disent que c'est dans le coin des Anglais qu'on en retrouve le plus, juste avant Pokeshaw. Ils tuent leurs maisons au lieu de les vendre. Ils partent un jour en les laissant derrière, sans se retourner. Ni même les vider de leurs effets. Celle-là m'a obnubilée pendant des jours. Je lui ai imaginé des tas de vies. Elle est presque invisible de la route, lovée dans les orties et les foins grouillants de bestioles. C'est comme contempler un corps exsangue. Ou une carcasse sèche. Je trouve ça d'une infinie tristesse. Puis en interrogeant les locaux, j'ai appris qu'elle appartient à un vieil ivrogne qui s'est ruiné dans la coke. Il a tout perdu; boulot, femme, enfants, et l'argent pour la rénover.

En grimpant précautionneusement sur la galerie effondrée et en collant le nez aux carreaux, on distingue tout un fourbi là-dedans. Des boîtes à moitié vides, des matelas crasseux, des divans défoncés et même des vêtements éparpillés sur le plancher couvert de sciures et de crottes de souris (je pense, à moins que ce ne soit de rats). Des tasses sales, des verres cassés, des draps roulés en boule dans les coins. Des outils sur la table. Des cendriers pleins. Un carton de pizza du Dixie Lee. Un opinel sur le comptoir. Une porte d'armoire ouverte. Les rideaux déchirés pendent comme des toiles d'araignées. On peut supposer qu'une femme furieuse a lacéré la dentelle en hurlant.

On peut imaginer des drames intimes, des scènes terribles, un départ précipité et l'abandon d'une vie qui piétine. Le vieux cinglé (que j'imagine barbu, l'oeil hagard, vêtu de haillons qui sentent la pisse froide et le tabac rance) s'est installé dans la roulotte rafistolée à côté. Elle n'avait pas l'air abandonnée, je sentais les relents d'une présence. Un sentiment diffus, mais je fais confiance à mon intuition. J'approchais sur la pointe des pieds. Heureusement, il n'était pas là quand je suis passée. Je craignais que la porte de la bicoque s'ouvre à la volée et qu'il fonce en claudiquant vers moi le poing levé. Il aurait aussi bien pu me découper en rondelles pour me donner à manger aux chats couverts de vermine qui règnent dans les décombres. J'en ai compté une quinzaine, dont deux minets aux yeux à demi fermés par une infection. J'avais peur de passer à travers les planches pourries. Ou de voir une face blême apparaître subitement dans la fenêtre du pignon.

J'adore avoir la trouille comme ça. Je suis retournée à l'auto en sautillant dans les herbes, totalement ravie de mon indiscrétion. J'allais là-bas pour chercher des histoires. J'en rapporte plein ma valise de char, comme on dit.







4 commentaires:

Doparano a dit…

T'as mauditement plus de couilles que moi, j'aurais jamais osé m'aventurer aussi près.

Je suis une grosse peureuse.

McDoodle a dit…

Compagnon de l'amoroso, que c'est écrit sur sa maison. Qui sait si tu es passée à côté de l'amour de ta vie ?!

Quelle belle maison c'était.

Et tous ces chats qui nous regardent... c'est thrillant et délicieux.

Gomeux a dit…

Ça se lit et se regarde comme un polar!

Génial.

Mek a dit…

Faut squatter ces bicoques ! Allons-y tous !