lundi 2 septembre 2013

547 jours de silence

Elle lui a donné rendez-vous pour l'apéro sur les Plaines, près de la Tour Martello, sur une table recouverte d'une nappe carreautée jaune et rouge. Une bouteille de rosé, un pâté de foie au porto, des fromages et sa robe de gitane faseyant dans les bourrasques chaudes du fleuve, la lumière de la fin août en biais dans ses cheveux blondis. C'était un rendez-vous de pardon, une manière de mettre un terme à 547 jours de silence. Il n'y avait pas de colère entre eux, ni même de fantômes ou de trahison, seulement cette distance qui s'installe nécessairement après une rupture, quand on se rend compte qu'on est de meilleurs amis que de bons amoureux. Quand des échardes se plantent continuellement entre les sourcils. La mort lente d'un sentiment qu'on voit avec résignation se dissoudre et s'effriter. Le silence comme remède à la déception, une manière peut-être vaine d'adoucir le manque.

Elle l'a vu arriver de loin, reconnaissable avec sa démarche sautillante et pressée, ses cheveux longs remontés sur le sommet de son crâne en mèches folles comme un halo hirsute. Elle a reconnu le sourire des bons jours, celui dont elle était tombée amoureuse. Elle s'est levée. Quand il l'a prise dans ses bras, c'est un an et demi de distance qui s'est décomposé subitement et elle a senti un appel d'air. Elle a retenu l'odeur familière de sa peau et celle plus troublante de sa tignasse, les boucles encore humides et la texture de la barbe à la fois douce et un peu revêche sur sa joue, la consistance de ses muscles. Elle a fermé les yeux et posé la paume sur sa nuque. Il a soupiré et l'a gardée de longues minutes contre lui, en silence toujours, mais celui-là était chargé de sous-entendus, de messages codés issus de toutes leurs nuits passées et des ancrages qui les avaient arrimés l'un à l'autre.

Devant le fleuve, encerclés par les familles qui jouaient au ballon tout près, ils ont trinqué à la fin de l'été et aux retrouvailles. Elle était rassurée de sentir qu'il la trouvait encore belle et que la tendresse résiduelle transparaissait dans le regard qu'il posait sur celle qu'elle était devenue. Pendant des heures, en retenant la nappe qui volait au vent imprévisible, les mots ont refait le chemin qui existait et ont préparé celui à venir. Ils riaient en se souvenant, tous les non-dits lentement effacés par ce nouvel espace réduit où le vin amortissait le poids des confidences. Ils ne voulaient pas être de ceux qui abandonnent et oublient, c'était le moment de trouver une autre façon d'exister pour l'autre. Une manière d'être en paix, mais cette fois, sans l'inutile absence.

Ils sont rentrés chez elle pour une autre bouteille de vin et comme avant, ils ont écouté de la musique, dansé autour de la table, discuté jusque très tard, ils ont reconstruit un monde dissolu, se sont touchés le visage et les mains, ont demandé pardon pour des fautes qui n'en n'étaient pas. Ils ont cassé des verres, taché la nappe, chanté à tue-tête et retrouvé cette amitié à la base de l'amour, celle qui justifie les rencontres et qui peut changer la vie.







5 commentaires:

Gomeux a dit…

Ben calvaire! J'aurai comme pas le choix d'écrire moi aussi d'abord.
Santé!

Miléna a dit…

:) Santé, mon Gom!

Gomeux a dit…

Très très content de replonger dans ton univers!

Anonyme a dit…

Comme tu m'as manqué mon minou.
Y'a que toi pour écrire de même.


Do

piedssurterre a dit…

Comme c'est bon de te retrouver après ce si long silence...