En parcourant une ruelle que je n'avais jamais prise, j'ai découvert cette porte. Tu sais que je les ai toujours aimées, tu as vu les centaines de photos que j'ai accumulées au fil des années et qui n'intéressent personne d'autre que moi. C'est en partie grâce à elles que les histoires naissent. Je trouvais l'entrée accueillante et mystérieuse. Elle m'a fait penser à toi. Le mouvement sexy du vent dans le rideau dissimulait l'intérieur, je m'imaginais une pénombre fraîche, une minuscule chambre blanche où tu ferais la sieste. Je te voyais nu sur les draps, couché sur le ventre un genou replié, ta tête enfoncée sous l'oreiller comme un enfant de cinq ans qui a peur d'un hypothétique monstre. La corne sur tes talons craquelés, cette cicatrice dans ton dos juste en-dessous de l'omoplate, tes fesses bombées de sportif tournées vers la porte, l'ombre de tes testicules et le détail des veines de ton avant-bras. J'entendais ces petits ronflements interrompus, les bulles qui naissent sur le bout de tes lèvres -qui me font rire- et que j'aurais aimé imaginer se déposer sur ma peau et éclater sur le bout de mes doigts.
Dommage que je ne t'aie vu dormir que lorsque je t'épiais, les nuits où tu m'offrais ta chambre d'amis. Debout devant la porte entrouverte, le souffle en suspend, mon poids réparti sur la plante des pieds pour ne pas être aspirée par l'odeur de ta peau accrochée au seuil. Je restais là de longues minutes, attendrie, émue, et emportée par la tendresse d'un désir qui provient d'aussi loin que notre premier sourire. Tu as toujours tiré ce rideau entre nous et gardé la possibilité de me toucher comme on repousse une mèche sur le front d'une amie, avec des paroles fines qui abrègent les élans que tu devines. Tu me connais si bien. Tes peurs transpirent entre les phrases que tu interromps soudain quand tu poses tes paumes sur mes épaules en me regardant. Ce temps d'arrêt avant que tu prononces mon nom d'un ton qui porte tout le poids des paroles que tu n'oses me dire pour ne pas me perdre, mais aussi une affection si profonde dans laquelle je m'enroule. Et qui me rassure. Il y a tellement de points de suspension dans ta manière de me nommer qu'on dirait les tirets sur lesquels on inscrirait les mots d'un rébus. Et je gagne toujours à ce jeu-là.
Je te tiens les poignets en riant, je pose mon menton dans le creux de ta clavicule et je te tapote le dos, les yeux fermés pour ne pas que tu sentes que c'est ton coeur que je voudrais empoigner. J'ai finalement décidé de laisser les mots mourir sur mon palais. J'ai choisi ce lieu lumineux où tu seras toujours, refermé la porte de cette chambre où tu dors nu, j'ai pris la première ruelle à droite et j'ai photographié l'ombre des balcons, la Maison-Soleil, la montagne en contre-jour et un vieux Grec nommé Vassili, qui prenait un café sur la terrasse près de la Mairie.
2 commentaires:
Dieu que c'est beau !
Oh ! Je l'avais raté, ce merveilleux billet.
Quel texte Mil! Blue a raison, que c'est beau !
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